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rès proche de son frère Adrien, Rose s’inquiète. Ce dernier s’isole de plus en plus et, depuis peu, a développé un intérêt pour les faits alternatifs. La pandémie et un peu de trop de temps passé sur les réseaux sociaux, ça lui passera pense-t-elle. Une discussion tendue lors d’un repas de famille finit par vraiment décontenancer la jeune femme. Son frangin ne serait-il pas devenu complotiste ? Dans quoi est-il en train de tomber ?
Sujet à la mode s’il en est, le complotisme est une vaste question qui englobe une multitude d’interlocuteurs et d’enjeux. Des doux-dingues platistes aux groupuscules extrémistes antitout plus ou moins manipulés par des agitateurs professionnels, il est difficile de comprendre les tenants et aboutissants de ces dérives tentaculaires. Pour autant, l’histoire démontre qu’il ne s’agit pas d’une chose nouvelle. La désinformation, la propagande et les mensonges sont des «outils» utilisés de tout temps, autant par les autorités officielles que leurs adversaires.
Afin de tenter de s’y retrouver, plutôt qu’un énième docu-BD de plus (Les complotistes, L’esprit critique, Fake news, Le complot, etc.), Valérie Igounet et Jacky Schwartmann ont choisi la voie de la fiction afin d’explorer cette nébuleuse. L’idée est louable, une bonne histoire et des personnages bien construits s’avèrent souvent efficaces pour cerner et détricoter des notions complexes. Encore faut-il arriver à transcender son motif et dépasser la simple démonstration comme c’est malheureusement le cas dans Ils sont partout.
Intrigue qui n’en est pas une, protagonistes à la psychologie limitée et condamnés à un simple rôle purement illustratif, le récit et la pseudo-enquête de Rose sur les traces de son frère ne sont qu’une excuse pour dresser un état des lieux du complotisme dans la France d’aujourd’hui. Personne n’est dupe, tout a été fait dans le but d’éviter les ennuis juridiques, les vrais acteurs ont été brouillés (et décryptés en fin d’ouvrage) ainsi que les lieux et les principaux évènements. Les auteurs se sont protégés, c’est compréhensible. Plus gênant, ce jeu de miroir et de fumée se fait au prix d’une narration peu inspirée et sans surprise dramatique.
Soyons clair, Ils sont partout est avant tout un reportage journalistique accablant à peine maquillé pour assurer ses arrières. Le problème, au-delà de la pertinence et de l’urgence des faits soulevés est qu'il s’agit surtout d’un album de bande dessinée plat, sans grande inventivité ou réelle force d’évocation.
« Ils sont sont là, dans les campagnes, les villes, sur les réseaux sociaux, les envahisseurs ». Bref, ils sont partout. Ces mots là d'une candidate à l'élection présidentielle raisonnent encore.
Les auteurs visent délibérément ce qu'ils appellent la facho-sphère qui se nourrir d'antisémitisme mais également de négationniste. Il y a ceux qui croient que la terre est plate, que les américains ne sont pas allés sur la Lune et que les attentats du 11 septembre 2001 ont été provoqué par les services secrets pour lancer la guerre contre l'Irak et l'Afghanistan.
On va suivre une jeune journaliste (que la complosphère surnomme journalope) dont le frère semble être attiré part ces thèses extrêmes. Elle va alors se faire aider par un spécialiste de l'extrême droite et qui était un ancien grand reporter pour le retrouver avant qu'il ne commette des attentats irréparables.
On va croiser des figures réelles dont les noms ont été modifié afin d'éviter des procès en diffamation (je pense à Jean-Marie Le Pen ou encore l'humoriste Dieudonné). Tout sonne assez juste et c'est ce qui est sans doute le plus effrayant.
Evidemment, ce genre de BD qui dénonce un phénomène très actuel est utile et nécessaire. On se dit qu'on ne croira jamais à de telles sornettes quand on est intelligent. J'avoue qu'une collègue m'a fait voir une vidéo qui dénonçait violemment les vaccins ainsi que l'industrie pharmaceutique piloté par Bill Gates durant la crise sanitaire et cela paraissait tellement crédible. Bref, n'importe qui pourrait y succomber si on n'y prend pas garde.
De telles bêtises peuvent même fausser le résultat d'une élection présidentielle. La pauvre Hillary Clinton en sait quelque que chose. On remarquera que c'est toujours les mêmes qui utilisent ces moyens pour tout d'abord se présenter en pauvres victimes du système qui les rejettent avec l'aide des médias pour ensuite acquérir le pouvoir et mener une politique conduisant à la haine de l'étranger.
Cette BD démonte les mécanismes en nous les expliquant de manière assez ludique. A noter qu'il ne s'agit pas d'une BD documentaire mais d'une vraie intrigue ce qui renforce encore plus l'aspect pédagogique en nous montrant du concret.
Certes, cette plongée dans les milieux complotistes et d'extrême droite est glaçante. C'est cependant nécessaire pour bien comprendre les enjeux et déjouer les pièges car c'est notre démocratie qui est sans doute en jeu sur le long terme.
Un album intéressant pour dresser un état des lieux de ce qu'est le complotisme aujourd'hui en France. Une dérive de pensée malheureusement de plus en plus présente dans la société de tous les jours et de plus en plus facile à étendre, à l'heure de l'Internet omnipotent et des réseaux sociaux.
Une BD louable, agréable à lire, mais un peu plate dans la construction de son scénario (il n'y a pas beaucoup de suspense ni de surprises) et peu inspirée dans son dessin, dans un style "dessin de presse" façon "Canard enchaîné" qui convient parfaitement au sujet (les journalistes et les médias étant l'une des cibles privilégiées des complotistes) mais qui s'avère vite très limité.