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ne étudiante se rend au Musée d’art contemporain Kunstalle à Berne, où est présentée une exposition sur l’art brut. Elle n’y connaît rien, mais, coup de chance, les fantômes de trois spécialistes, Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet et Harald Szeemann l’accompagnent dans sa visite. Elle y découvre quelques-unes des principales figures de cette approche, d’abord considérée comme celle des fous, à moins que ce ne soit simplement celle des béotiens.
Le galeriste parisien Christian Berst et l’artiste espagnol Oriol Malet ont écrit à quatre mains le reportage. Levant le voile sur un mouvement méconnu, ils tentent d’en définir les contours, même s’il n’en a pas vraiment. La structure de la narration se veut en apparence classique. Une néophyte est guidée par des transmetteurs de savoir, à cette exception que ce sont des spectres. Ces derniers se chamaillent, s’obstinent, répondent parfois aux questions de l’ingénue et se perdent dans leur récit aux airs de documentaire. La matière pourrait apparaître aride, elle est au contraire accessible et maintes fois amusante.
Alors, de quoi s’agit-il ? La définition demeure à géométrie variable. Il semble y avoir un consensus pour affirmer que c’est le mode d’expression du vulnérable, de l’exclu et du marginal. Celui-ci ne se considère habituellement pas comme un créateur et c’est ce qui établit son unicité. Son œuvre n’a généralement rien à voir avec les courants artistiques passés et elle n’a pas pour vocation d’être diffusée. Ironiquement, cette production gagne peu à peu ses lettres de noblesse. Les tableaux trouvent leur place dans les galeries d’art et certains se vendent très cher.
Seul aux pinceaux, le Barcelonais livre un travail remarquable. Dans chacun des chapitres, l’illustrateur s’inspire du style du bohème dont il rappelle la mémoire. Textes et dessins ont fréquemment tendance à s’amalgamer dans un propos aux accents naïfs et surréalistes, avec une touche de carnavalesque. Pour traduire tout cela en termes de bande dessinée, il faut regarder du côté de Frédéric Bézian, de Manu Larcenet (celui de Blast et du Rapport de Brodie), d’Edmond Baudoin ou de David B.
La plupart des illustrations sont tracées à l’encre noire ; mais lorsque la couleur s’impose, elle ne passe pas inaperçue. Il lui arrive de se contenter de s’afficher sous la forme de quelques lignes, timides et ostensibles. À d’autres moments, le lecteur assiste à une déferlante de jaunes et d’oranges. Le gris n’est pas en reste. Les vignettes mettant de l’avant les narrateurs sont systématiquement tramées de façon à trancher avec les segments biographiques aux noirs et aux teintes bien tranchés.
Un projet dans lequel le fond et la forme fusionnent pour constituer un album réjouissant qui séduira les amateurs d’Art.
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