A
près une dizaine d’années en France, Aiat a posé ses valises à Vienne. Pour le plaisir des rencontres, il sous-loue régulièrement une chambre de son appartement. Aujourd’hui, c’est Charlotte qui débarque pour quelques jours. Hospitalité oblige, les salutations et la visite des lieux se transforment en une longue discussion au bout de la nuit, autour d’un café d’abord et d'un bon dîner ensuite. Étrangers en terre inconnue, les échanges tournent rapidement vers l’émigration, la notion d’appartenance et, actualité oblige, des réfugiés en quête d’une vie meilleure.
Le cœur d’Un pays dans le ciel trouve son origine dans l’expérience personnelle et une résidence de dramaturgie qu’Aiat Fayez a effectué au sein de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Durant cette année en immersion, il a pu observer les diverses procédures et, surtout, être présent lors des auditions des candidats à l’obtention du statut de réfugié. Témoignages terribles et terrifiants, tentatives désespérées ou dérisoires afin de convaincre l’agent en charge, les mêmes scènes se multiplient tout au long de l’ouvrage. La misère et l’injustice les plus intolérables affrontent l’administration toute puissante avec à la clef, pour les plus chanceux ou persuasifs, le précieux sésame synonyme de sécurité et de liberté (ou presque).
Heureusement, ce qui aurait pu être un pamphlet militant et larmoyant va bien au-delà des apparences. Il y a évidemment ce jeu du chat et de la souris qui est devenu une industrie avec des filières de passeurs fournissant déplacement, rendez-vous, récit et consignes garantissant une réponse favorable. Mais aussi, ces moments de solitude absurde quand deux candidates sortent, au mot près, exactement la même histoire de violence et de fuite pour justifier leur démarche. L’état psychique du personnel administratif qui, jour après jour, est confronté au pire de ce que l’homme peut faire à l’homme est également abordé. Dans son ensemble, le portrait humain qui ressort de cette éprouvante lecture n’est guère reluisant. À qui la faute ? Agneaux, loups, requins, égoïsme et vénalité, le monde est un grand pré ensanglanté.
Formellement très bien construit avec une double narration bicolore mélangeant habilement les temporalités, Un pays dans le ciel s’aventure courageusement derrière ces reportages-chocs parlant de naufrages ou d’actions coup-de-poing de la police pour démanteler les campements sauvages devenus inaudibles à force de répétition. En plus de mettre des visages sur les migrants, l’album propose une réflexion particulièrement incarnée sur la façon dont leur accueil est ordonné et organisé.
Avertissement, certains passages du livre s’avèrent être à la limite du supportable et pourraient choquer les âmes sensibles et les jeunes lecteurs.
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