A
u tournant du XVe siècle, la féodalité polonaise a profité d’un bond technologique pour se renforcer. Les maîtres forgerons et les ingénieurs en vapeur ont contribué à asseoir une autorité centralisée et omnipotente en offrant du pain et des jeux au peuple. Depuis lors, des combattants déplacent des tonnes d’acier devant un public toujours plus amassé. Se faisant front, ils s’entrechoquent avec fracas. Attirés par l’argent et par la gloire, ses hommes luttent parfois jusqu’à la mort. C’est là qu’émerge Lady Lucja, une noble de province. Elle fascine les foules, car la jouteuse guerroie armée uniquement de ses poings comme si elle maniait un savoir oublié d’un temps reculé et pur.
Publié au sein du magazine Comic Border des éditions Leed, Lucja est un shonen chevaleresque, classique et maladroit. Son auteur, Coji Inada y développe une fantasy légèrement bas de plafond. Dès la séquence introductive, le mangaka propulse son héroïne au cœur de l’arène, donnant aussitôt un tempérament conquérant à son récit. Il essaye ainsi de concerner son lectorat, mais sans dévoiler l’enjeu de la scène inaugurale, sa tentative échoue. N’est-ce qu’une question d’honneur, une appétence pour le pouvoir ou simplement l’appât du gain ?
Hormis les invectives sur le niveau des forces en présence, l’opus prétend s’inscrire dans le genre codifié du steampunk. Toutefois, l’artiste japonais fait fi de l’environnement industriel de la fin du XIXe, de l’ère victorienne et des pionniers de la « proto-science » (Thomas Edison, Jules Verne, Albert Robida). Le scénariste défend plutôt un médiévisme moins alchimiste que mécanique. Cependant, le brou-ha général qui court autour de la technologie manipule des termes simplistes et intègre des objets anachroniques qui détonnent - un poste de retransmission et un camion-laboratoire se retrouvent ainsi contemporains de la chute de l’Empire byzantin. Pire encore, l’écrivain agglomère ses influences et densifie artificiellement son texte au point de ridiculiser son propos. En guise d’exemple, afin de justifier de la puissance d’un concurrent dressé sur une bête de métal, Coji Inada propose sa version, slave et vaguement exagérée, de la bataille des Thermopyles : deux-cent-mille soldats russes munis de chars d’assaut défaits par une compagnie de dix valeureux chevaliers chevauchant des bisons. La galéjade aurait-elle été aussi cocasse si elle avait évoqué la véritable invasion de la maison Jagellon venant de Lituanie et ayant administré le territoire (de 1440 à 1444 et de 1490 à 1526) ? Sûrement, en revanche, elle aurait été plus travaillée. D’autant que le bédéiste nippon se targue d’avoir séjourné à Varsovie et articule, à ce titre et très ponctuellement, la vulgate polaque.
Au pinceau, le dessinateur use d’un arsenal graphique assez étendu. Il ambitionne de créer du mouvement par des explosions, des traits de vitesse et des onomatopées déformées. Le résultat est souvent plaisant et offre quelques pages iconiques. Le jeu des trames et des hachures améliore le rendu qui perd de la consistance quand les premiers de cordée baignent dans la lumière. Autrement dit, la ligne claire ne sied pas au style de l’illustrateur. Le design de certains personnages laisse également à désirer (principalement maître Kantor et Sammy), même si, dans l’ensemble, la prestation demeure de bonne tenue.
Lucja, a story of steam and steel ne se forge pas une destinée d’exception, romanesque et probe. Le titre est conventionnel dans sa forme et sa narration est, au mieux, peu habile.
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