À l’été 1983, le corps d’Anna change. Les cellules bêta des îlots de Langerhans de son pancréas vont cesser de produire une hormone. La jeune fille a trois ans et les premiers symptômes apparaissent : augmentation du volume et de la fréquence des urines, soif intense, bouche sèche, perte de poids rapide, somnolence. À l’hôpital, l’équipe soignante lui administre des perfusions d’insuline, de solutés de glucosé et de potassium. Les parents accusent le coup. Le diagnostic est sans appel, c’est un diabète de type 1. La guérison est inenvisageable. Cette maladie chronique nécessite une surveillance de chaque instant. Le quotidien bascule …
Inattendue, la parution coup-de-poing de la rentrée littéraire pioche au sein du rayon de la bande dessinée documentaire. Ses auteurs, Ana Waalder et Mikhaël Allouche se font les porte-paroles du demi-milliard d’individus atteint d’une affection que d’aucuns tournent en dérision et qui jouit d’une mauvaise presse. L’ambition est simple : convaincre par l’exemple. Non, les diabétiques ne sont pas « tous âgés, en surpoids, fainéants, manquant de volonté, insuffisants dans leurs performances ». Et oui, à tout âge, une personne en bonne santé peut contracter un avenir d’insulino-dépendant soit en raison d’une prédisposition génétique, soit d’une consommation de corticoïdes ou de médicaments à base de cortisone, et même des suites « d’une infection à la Covid-19 » - selon plusieurs études, jusqu’à 15 % des formes longues de SARS-CoV-2 connaissent une altération du fonctionnement du pancréas.
Escroqueuse débute par le genre autobiographique. Les artistes proposent un témoignage à hauteur d’un enfant qui découvre sa particularité et l’ensemble des inconvénients à travers les yeux de sa famille proche. La culpabilité règne et les restrictions sont importantes. Cette narration du réel joue abondamment du gaufrier et fourmille d’inventions graphiques. La mise en scène structurée et exempte de gouttière repose sur un jeu de vignettes. Le graphisme rappelle, quant à lui, celui de Pierre Lapolice. Le trait est dépourvu d’émotion au profit de la sensation transmise par la couleur. La palette est d’ailleurs très étendue et souvent primaire. Distillés par aplats, les motifs sont variés et rarement ombragés.
L’oncle d’Anna est aussi charmeur que tricheur aux cartes. Il sait parler, captiver et obtenir. Il aime sa nièce qui le lui rend bien. Dans un service de soins, il lui apporte une poupée indienne de la gamme "action girl". Un jour de crise, elle lui coupera les cheveux ! Cette Lili-la-tigresse prend alors le relais. Le récit chronologique s’entrecoupe de séquences fictionnelles donnant la part belle au reportage. L’avatar de la petite malade est plus combatif et davantage curieux. Elle incrimine volontiers le lobby pharmaceutique, les diabétologues ignares, les associations de patients attentistes et les pouvoirs publics. La franchise du propos libère également la représentation graphique. Ces planches s’affranchissent de barrières et donc de cases. La ligne claire prend les atours d’un vert émeraude. Fin, le geste tranche avec le blanc du papier et un orange d’habillage.
Par alternance, le lecteur apprend l’adolescence d’Anna, ses passions musicales et sa grand-mère coincée dans le regret d’un amour de jeunesse. Puis, au creux des pages, c’est un rituel journalier et médicalisé qui s’épanouit fait d’avancées scientifiques, de comas acidocétosiques ou encore de capteurs de glycémie. Au terme de l’ouvrage et précédant les nombreuses sources listées en annexes, la paire de créateurs rédige une mini-gazette. Les articles se succèdent et abordent le sujet par d’autres biais. Dense, cette dernière partie mérite le détour.
L’album Escroqueuse, sous-titré Quand l’hypo frappe, a été élaboré avec passion. La rage éprouvée par Ana Waalder et Mikhaaël Allouche s’imprime sur la rétine et renverse l’image associée au diabète. Mission accomplie !
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