L
e football et Didier, c’est une longue et parfois douloureuse histoire d’amour. Comme il le dit lui-même, quand il s’agit de ballon rond, il a de nouveau dix ans ; tous les coups et tous les extrêmes sont permis. Pour le maintien de la paix au foyer, sa femme a dû se faire une raison et fait mine de rien. De son côté, son fils rigole bien.-Cependant, il préférerait qu’il arrête de venir l’encourager à ses matchs (l’entraîneur n’en peut plus d’entendre les réclamations paternelles hystériques hurlées depuis la ligne de touche). Un soir, alors qu’il regarde, pour l’énième fois, le terrible France - RFA de Séville en 1982, il fait une découverte incroyable et comprend, enfin, le pourquoi de cette légendaire défaite des Bleus. Immédiatement, il contacte Fred, son pote qui bosse à L’Équipe, car le monde doit savoir. Surpris, mais habitué des excès de son ami, ce dernier accepte d’entrer dans son jeu (on ne sait jamais, ça peut faire un article). Commence alors une enquête à travers l’Europe afin de retrouver les acteurs de ce mythique affrontement.
Sujet abordé à multiple reprises au fil de son œuvre, de Raymond Calbuth aux Poissart, ainsi que dans deux ouvrages totalement dédiés (Le footballeur du dimanche chez Delcourt en 2020, Football mon amour aux éditions J’ai lu en 2010), le foot fait littéralement partie de l’ADN de Didier Tronchet. Avec Les fantômes de Séville, il réalise un de ses rêves d’ultra. Autobiographie ? Autofiction ? Pur fantasme de supporter ? Sans doute un mélange de tous ces éléments et peu importe finalement. Comme le montre cette quête à la limite de l’absurde, c’est bien plus que de sport dont il est question. Quel que soit son âge ou son origine, tout le monde a des souvenirs et des émotions reliés à un exploit ou une déroute de son équipe favorite. Ces résultats, aussi insignifiants qu’ils peuvent être, sont une composante de l’identité culturelle commune d’une famille, d’un village, d’une ville ou d’un pays.
Embarqué par Tronchet, Jérôme Jouvray fait les frais de l’épopée. Suivant de très près le découpage de son coéquipier, il illustre avec malice et efficacité cette improbable cavalcade. Du rythme, des scènes ahurissantes, une bonne dose d’auto-dérision et quelques longueurs ici et là, la narration n’arrête jamais. Par contre, l’ensemble s’avère un peu excessif par moments, voire presque irritant. Heureusement, la drôlerie omniprésente arrive à faire passer la pilule. Puis, l’insistance continuelle du héros devenant contagieuse, le lecteur finit par vouloir connaître le mot de la fin de ce drame national. Il faut dire que le côté impulsif du personnage est retranscrit avec tellement d’expressivité qu’il est impossible de ne pas être contaminé (ou gêné, ça dépend) par cette débauche d’énergie aux frontières de la folie obsessionnelle.
Pas mal de termes techniques, mais aussi énormément d’humour et de tendresse, même s’il est préférable d’avoir un penchant pour le foot, Les fantômes de Séville est suffisamment riche et surprenant pour satisfaire tous les publics, même les Allemands.
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