L
a Terre, sa faune luxuriante, ses paysages vallonnés, son eau omniprésente et surtout ses robots. Les boites de conserve sont si productives et bon-marché, que les humains doivent s’exiler pour trouver du travail. Ce n’est pas pour déplaire à Sazan qui a la tête dans les nuages et le cœur tourné vers les étoiles. Alors qu’il fait des heures supplémentaires en vue de l’édification d’une énième micro-planète, il loupe la navette du soir. Il se résout donc à s’endormir sur un astéroïde/abribus par des températures négatives quand, soudain, Mina lui propose de le déposer près de chez lui. Cheveux mi-long, sourire large, mini bikini, elle conduit une moto-spatiale rouge. Comment refuser ? À peine embarquée, une bande de pirates les prend en chasse ! C’est que la sauveteuse providentielle est connue même au-delà de la galaxie sous le sobriquet de Comet Girl et son énergie illimitée appâte les flibustiers aux intentions les plus malveillantes.
Yuriko Akase rend un vibrant hommage aux productions d’animations japonaises de la fin du siècle dernier (1980-1990). Correspondant à l’éclosion du manga en Europe, cette période est un âge d’or pour les entreprises nippones du secteur. Elle permet d’inscrire durablement et, comme toute dérive, bien improprement, une image de la mythologie asiatique dans l’inconscient collectif. Ces œuvres participent à la construction d’une culture de masse calibrée pour l’export et s’inscrivent dans un cahier des charges prédéfini. Née après cette décennie d’exploitation, la jeune mangaka poursuit le but légitime de jouer de ses codes de manière à faire revivre cette atmosphère si particulière, le temps d’une dizaine de pages publiées sur un site internet (Torch Web). Banco, le succès est au rendez-vous. Son responsable éditorial l’encourage alors à se consacrer à la réalisation d’une histoire longue et Comet Girl devient un diptyque de plus de cinq cents planches qui occasionne, à un lectorat a minima trentenaire, des réminiscences façon madeleine de Proust.
L’autrice raconte un coup de foudre entre Sazan et Mina. D’un côté, le Terrien est naïf et peu sociabilisé, de l’autre la fille météore est électrisante et rayonnante. Cette dernière dispose d’une puissance sans limites, ce qui attire naturellement les convoitises de nombreux brigands. Nonobstant des sentiments réciproques, la midinette refuse de faire courir un danger à son âme sœur. Elle quitte alors le système solaire direction le lointain. Seulement, le fougueux amoureux est têtu. Il embrasse la piraterie en vue de recroiser le chemin de l’éblouissante Mina. Ce choix scénaristique constitue un axe fort du premier volume qui apporte son lot d’humour et engage une transition de certains renégats de l’espace.
Côté graphisme, l’artiste joue également des poncifs du genre. Ainsi, l’héroïne est aussi sexy que Aoi Yume, la princesse du Royaume de Podream (Wingman). Elle exhibe la chevelure d’une championne de volley-ball (Jeanne et Serge) tout en étant attifée comme Dan et Danny (Dirty Pair). Enfin, elle chevauche une cylindrée qui ferait pâlir Kaneda (Akira). La copie est une véritable resucée des animes diffusés au sein des émissions Récré A2 puis le Club Dorothée (Albator, Sailor Moon, Ulysse 31, etc.). L’influence d’Akira Toriyama transpire dans l’esquisse des astres autant que dans la proposition architecturale très « Capsul Corp ». Outre la proximité du rendu, des emprunts narratifs à Dragon Ball sont évidents. Ainsi, le gang des Pique-nique est composé de trois êtres maladroits et pas vraiment méchants à l’image de celle de l’empereur Pilaf. La clique élaborée par Yuriko Akasé est dirigée par un cochon balafré, mais attention n’évoquez pas son apparence porcine. Ce pseudo-antagoniste possède un pouvoir. Une nouvelle fois, toute ressemblance avec le personnage anthropomorphe d’Oolong tirée de la rebondissante saga du papa de Dr Slump ne semble pas fortuite. Au rang des références, l’expression des émotions relève à son tour du ton du pastiche. Le pathos côtoie le ridicule. Les sueurs froides et les chutes rythment quelques dialogues dont la phraséologie est étudiée de sorte à obtenir, par moments, la palme du kitsch. Mention spéciale à celle-ci « Waaah ! Qu’est-ce qui lui arrive ?! Elle a regagné sa force ! »
À l’instar de Quenotte et le monde fantastique, le shonen est entièrement colorisé. Afin de valoriser ses teintes, l’illustratrice s’exprime via une ligne fine et épurée. Elle élimine les aplats de noir et les trames mécaniques. Elle appose ensuite son encre de couleur en jouant des différentes ambiances. Le bleu est dominant au début du récit, puis il s’assombrit lorsque l’action s’envole vers le vide intersidéral. Le second opus recèle son lot d’explosions, permettant de développer diverses valeurs de jaune, plus ou moins orangées. La conception se veut artisanale et bannit, de facto, les effets obtenus avec l’outil numérique. Malgré cela, la dessinatrice délivre une touche de cosmique en restituant parfaitement le visuel de l’énergie (cf. la crinière de Mina sur la couverture du tome 2). Le rose et le violet, ensemble très mouillé, contrastent avec la clarté du support. Parfois, l'artiste renforce le tout de traits blancs (gouache, marqueur ou stylo correcteur). En peu de mots, c’est une réussite !
Pour la douzième édition du célèbre Prix du Manga Taisho (2019), Comet Girl a fait partie des treize finalistes, obtenant même une belle cinquième place. La maison Casterman a justement acquit les droits de ce titre si singulier. Présenté sous le label Sakka, le livre est édité au format classique des mangas, jaquette à rabats et un papier fin qui ne rend pas toujours justice à la mise en couleurs. Gageons qu’un plébiscite du public permettra une exploitation future dans une version prestigieuse au feuillet davantage épais.
Grimpez donc sur un rafiot, dressez le pavillon, la voie lactée est en vue. À deux encablures, Comet Girl se pâme de tout à la fois, une immersion chamarrée au cœur de la pop-culture, une lecture plaisir de jeunesse et un space-opéra d’une grande fraîcheur. À l’abordage !
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