A
u grand dam de son père, Thomas Shaper n’a jamais envisagé reprendre l’exploitation familiale. Question culture, il préfère la peinture à celle des fraises. Après un succès new-yorkais aussi fulgurant que déstabilisant, il se lance - plein Ouest - dans un long road-movie vers L.A. à la recherche d’un but à son existence. Il y rencontre Johnny Cash et croit enfin pouvoir rebâtir quelque chose à la mesure de ce qu’il a détruit ou n’a pas su construire… du moins le croit-il !
Avant d’être une bande dessinée, Jukebox Motel est un roman (Lattès, 2016) et, bien avant encore, en 2012, le scénario d’un court métrage ! Volonté d’exploiter un bon filon ou opportunité d’explorer les latitudes offertes par chaque médium ? Quoi qu’il en soit, à chaque fois Tom Graffin est là et, pour l’occasion, il est accompagné de Marie Duvoisin dans ce qui est le premier volet d’un diptyque éponyme.
Peut-on détruire les rêves des autres pour vivre les siens ? Avec opiniâtreté, Thomas s'acharne a créer l’artiste qu’il voudrait être, mais qu’il ne parvient pas à trouver… sauf le temps d'une nuit ! Ce que d’aucuns vivraient comme une consécration devient vite une forme de damnation. Désormais, le jeune peintre doit reproduire ce qu’il ne maitrise pas et cette valise pleine de billets est là pour lui rappeler le deal faustien qu’il a conclu ! À travers cet album, Tom Graffin interroge (entre autres) sur le geste artistique, sur sa finalité : comme sur sa valeur ; la gloire est-elle une bénédiction ou un chemin de croix pour qui ne la désire pas forcément ? À l’évidence, quelques coups de pinceau ou quelques accords judicieusement disposés ne suffisent pas à rendre heureux, il faut autre chose !
Pour faire écho à ces questions métaphysiques, Marie Duvoisin développe un dessin tout en couleurs et en émotions. Le découpage est soigné, le trait expressif, le rythme parfaitement approprié et en cinquante-quatre pages tout est dit, du moins l’essentiel, au point de se demander, pour ceux qui n’ont pas lu la prose de Tom Graffin, ce qu’il pourrait rester à dire !
La mauvaise fortune de Thomas Shaper séduit par sa fluidité et l’atmosphère qui s’en détache et il suffirait presque de fermer les yeux et de se laisser simplement porter par la voix de l’Homme en noir… pour se croire au Jukebox Motel !
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