Émergeant, tel le Colonel Chabert, d’une fondrière faite de cadavres décharnés, deux créatures retrouvent l’air libre. Simples squelettes, aveugles et passablement désorientés, ils tentent de comprendre ce que le destin leur a réservé. Entourés d’une multitude de coreligionnaires dans le même état, ils réalisent vite que c’est au cœur d’une énorme bataille que le sort (un sort bien précis en fait) les a appelés. Si leurs orbites n’étaient pas vides, ils pourraient voir face à eux la forteresse du grand Khan et, perdus au milieu du tumulte, les silhouettes d’anciens camarades en détresse.
L’absence de David B. dans la famille Donjon a toujours été une source d’étonnement chez les lecteurs. Son nom sur la couverture de Réveille-toi et meurs rassure et répare cet étonnant manque. En effet, tant son style fantastique si reconnaissable, que son riche passé avec ceux de L’Association, obligeaient l’auteur d’Hâsib et la Reine des serpents d’être de la partie. Généreux, Lewis Trondheim et Joann Sfar lui ont concocté un scénario sur mesure, rempli de carcasses, de combats épiques et de peurs primitives. De plus, ce récit situé au niveau soixante-dix-neuf du canon leur permet également de poser des jalons importants pour mieux appréhender des événements cruciaux de la période Crépuscule.
Cette conjonction de talent tant espérée et attendue illumine-t-elle harmonieusement le ciel de Terra Amata ? Oui et non : si le récit se montre brillant, alternant moments de doutes et de gravité avec de bonnes doses d’humour potaches, le dessinateur paraît, quant à lui, moins à son aise. Preuve en est un flot narratif gêné aux entournures, comme trop à l’étroit. Écrasées par des textes envahissants, les planches manquent drastiquement d’air ou d’espace afin de s’épanouir complètement. Les rares grandes cases gorgées de panache et d’élan viennent confirmer un découpage finalement peu approprié à la faconde de l’illustrateur. Pour autant, celui-ci n’abdique jamais et arrive à boucler son album d’une manière plus qu’acceptable. Par contre, impossible de ne pas imaginer ce qu’aurait pu donner la même histoire réalisée avec moins de contrainte de pagination et plus de liberté dans la mise en page.
Malgré ce petit bémol au niveau du dessin, il serait malhonnête de vraiment bouder son plaisir sans passer pour un fâcheux. Réveille-toi et meurs est une lecture prenante et particulièrement touchante en ce qui concerne deux des protagonistes comptant parmi les favoris de beaucoup des aficionados de la saga.
Tout comme "Crève cœur" et "Des soldats d'honneur", Sfar et Trondheim font la part belle à l'illustrateur. Tout comme Rodolphe Töpffer, les scénaristes construisent leurs narrations sous forme d'estampes sur laquelle est intégrée un texte souvent lyrique dans sa conception, non dans son fond.
Ainsi donc l'artiste dessinateur peut laisser pleinement court à son trait puissant, à sa vision graphique. On dirait que Sfar et Trondheim sont des fans de ses auteurs puisque ce choix ne permet plus un scénario haletant, bourré de péripéties et de drôleries, de mouvements. Mais, si le dessinateur, aux talents atypiques, est au diapason de cette chance fabuleuse, alors le plaisir de lecture est avant tout visuel. Carlos Nine dans "crève cœur" n'aura rien compris et rendra une copie paresseuse...
Alors que David B. nous en met plein la vue!
Car entre le cadrage, la couleur et surtout l'ancrage David B m'émerveille dans sa précision millimétrique pour que chaque case soit d'une harmonie rare en même temps que hors du temps. Ce sont de multiples peintures, estampes, illustrations que nous offrent le singulier artiste. Un vrai bonheur!
Car, oui, pour que se déchaine la virtuosité de l'artiste, le scénario pâlit un peu de lenteur même si le plaisir de lire une bonne histoire reste entier. Car il y a aussi des fulgurances dans la narration. Retrouver Alexandra et Hyacinthe de la sorte, personnages principaux, est aussi renversant que le final de l'album est singulier et saisissant. Cela implique tout de même qu'ils ont été enterré dans la même tombe. Rencontrer Marvin et Herbert et comprendre les raisons qui les poussent à se battre comme à s'aimer. Et on revoit Isis et son fils, Gilberto, Horous ( qui n'est plus spectre contrairement dans "Du Ramdam chez les brasseurs") Les pièces du puzzle continuent tranquillement à se positionner, tout en nous faisant poser autant de questions.
Mais l'histoire est avant tout une histoire de bataille. Gargantuesque, gigantesque. C'est ça le cœur du thème de l'album. Ses estampes qui l'illustrent, proches de l''art naïf est homérique, superbe.
Plein la vue!
Le dessin de David B est-il généralement aimé? Je trouve que, par son caractère atypique, il se place dans la même sphère que Menu (Le géant qui pleure), Nine (Crève-cœur) ou Stanislas (Le grand animateur) des albums qui se démarquent par un dessin qui saute aux yeux. Dans tous les cas, il colle à l'histoire, surtout narrée, qui réveille notre personnage d'un profond sommeil...
Ce genre d'histoire, empreinte de nostalgie, m'a toujours plu. Notre héros, mort depuis qui sait combien de temps, tente de comprendre qui il est, et surtout de rester aux côtés de cet autre squelette aux grandes bottes à talons. Lentement, ils s'approcheront de la forteresse...
Par contre, je trouve que l'album nous laisse un peu sur notre faim. Il ne nous en apprend pas des tonnes. J'aurais aimé en apprendre plus. Une partie de ce qui est dit dans cet album a déjà été dite dans le Crépuscule 102. Et puisqu'il se situe au niveau 79, il semble minimiser l'impact du Crépuscule 102. Combien d'années se sont-elles écoulées entre les deux albums?
Dans tous les cas, un très bon album, mais il faut aimer le style.
Une vrai purge !
J'aime beaucoup cette série, c'est certainement pour cela que je suis aussi radical.
Rien d'intéressant dans cet épisode, excepté l'anecdote sur l'origine du nom du roi poussière.
Un album à oublier ! Beurk caca !
Un album absolument crucial, car il est situé à cette période charnière entre la fin de l'ère Zénith et le début de l'époque Crépuscule. On y apprend en effet notamment comment Marvin est devenu le Roi-Poussière et pourquoi Herbert a décidé d'accepter en lui toute la noirceur du monde, deux questions essentielles qui nous taraudaient quand même depuis le tout premier "Donjon Crépuscule" paru il y a plus de vingt ans !
Le dessin fascinant et atypique de David B. est parfait pour illustrer ce scénario morbide, émouvant et drôle à la fois, et achève de classer cet album parmi les indispensables de la série "Donjon Monsters".