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oseph Joséphin, dit Rouletabille, assiste à une cérémonie de l’ambassadeur. Fatigué par la qualité du champagne, il est attiré par un parfum qui se rappelle à sa mémoire sans qu’il puisse y associer un visage. Il suit alors opportunément cette dame en noir et surprend une conversation étrange entre Mathilde Stangerson et son fiancé, Robert Darzac. Le surlendemain, cette femme fait la une des gazettes. Elle a été retrouvée, gisant au milieu de son sang, dans une pièce verrouillée de l’intérieur et après avoir appelé à l’aide à plusieurs reprises. La chambre jaune possède certes une fenêtre, mais cette dernière est fermée par une grille. Est-ce une manifestation surnaturelle ou peut-être une dérive des expériences scientifiques pratiquées par son père sur la matière ? Rouletabille compte bien « prendre la raison par le bon bout ». Toutefois, la magnifique propriété est interdite aux journalistes. Le perspicace reporter, accompagné de son ami Sinclair, évoque une phrase entendue lors de la réception du diplomate : « Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat ». Le futur époux de la victime, tombant des nues, lui ouvre les portes du domaine du Glandier.
Qui est donc cet indéchiffrable éditeur à la fois à la genèse du livre Le Charme du Presbytère et peu élégant dans la conduite de ce projet - une énigme de plus ! Voilà qu’au tournant des années quatre-vingt-dix, cette personne est embauchée par un important groupe d’édition en vue de développer un département bande dessinée spécialisé dans les transpositions des classiques des romans policiers. Partant, elle prend l’attache de Rodolphe et lui propose de concevoir une adaptation avec le collaborateur de son choix. Le scénariste pense aussitôt à son ami Léo, rencontré récemment et tellement talentueux. Quant à l’histoire qui servira de matériau brut, il opte pour le chef d’œuvre de Gaston Leroux, Le Mystère de la Chambre jaune (1908). L’écrivain s’attèle rapidement à l’étude du manuscrit originel. La mécanique de l’enquête contraint de découper la version en deux tomes qu’il baptise, comme un clin d’œil, Le charme du Presbytère et L’éclat du jardin. Promptement, certains événements inquiètent le duo. Pourtant, ils continueront, un an durant, à livrer et à perfectionner leur travail. Finalement, l’homme de l’ombre est débarqué. La structure éditoriale Claude Lefrancq, titulaire des droits, fait paraître une adaptation de la main d’André-Paul Duchâteau et de Bernard Swysen. Puis, la contribution de Léo et Rodolphe ne connaîtra pas les joies d’une publication et devient un « album fantôme ». Du moins, jusqu’aujourd’hui.
Les éditions Une idée bizarre, portées par Patrick Buchoux, raniment une douzaine de mois de labeur, offrant un écrin exceptionnel à cet inédit tiré à seulement trois cents exemplaires (et soixante de plus hors commerce) numérotés et signés. Ce grand format en noir et blanc a été réalisé à partir des planches originales. Imprimé sur papier couché semi-mat de 150 g, il arbore un dos toilé, une postface explicative et divers croquis. En dehors du circuit de distribution courant, se procurer ce livre nécessite d’aller sur le site de l’éditeur *, où d’autres pépites sont également en vente, et notamment Rosalyn, déjà de la plume de Rodolphe et dont la mise en images était confiée à Jean-Yves Raimbaud.
Feuilletoniste hors-pair, Gaston Leroux distille une intrigue policière qui repose sur un meurtre surnaturel en apparence. Ce monument de la littérature populaire est sagement interprété par Rodolphe, qui respecte les grands arcs narratifs et allège le récit afin de fluidifier la lecture. Quant à la partition graphique, elle impressionne par la justesse du geste. Au-delà de la parfaite ligne réaliste, quelques traits apportent de la matière, construisent le volume et fixent les plans. Un jeu de cadrage permet aussi d’apporter du mouvement aux scènes de dialogues et démontre, si cela était nécessaire, la maîtrise des perspectives de l’illustrateur. Ce dernier ne joue ni des aplats ni des lavis, puisque la parution attendue devait être en couleur. Cet opus de l’artiste brésilien n’est pas à ranger parmi les pas balbutiants d’un auteur en devenir, mais à l’inverse au sein d’un rayonnage d’œuvres abouties.
Après trois décennies d’attente et de succès (Trent, Kenya, Namibie, Amazonie, Centaurus, Europa), les passionnés du sillon tracé par Léo et Rodolphe peuvent se plonger dans leur première collaboration au long cours - une courte fiction de six pages, Monsieur Joseph, avait été élaborée pour le magasine Vécu. Bien entendu, seul un tome a été terminé. Le second volet n’a jamais été rédigé. Et il n’est pas question que les vieux loups réalisent cette suite. Quoique nul ne sait ce que l’avenir réserve...
* https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil >
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