C
et album s'ouvre sur une scène d'une grande banalité : un soir en banlieue, une voiture est dégradée. La police interpelle une bande de jeunes à un arrêt de bus. S'ensuit un interrogatoire comme dans les séries, chacun étant informé que les autres sont déjà passés à table et lui font porter le chapeau, qu'il ferait bien d'avouer... sauf que ces gamins n'avaient pour seul tort que d'avoir été dans les parages. Ils ne correspondaient même pas à la description des suspects. Après quelques heures d'angoisse, ils sont libérés. Scène de la vie quotidienne dans les cités.
La force de l'ordre se présente comme une enquête ethno-graphique. Les auteurs tiennent au trait d'union, pour insister sur l'apport du médium bande dessinée (qui jette un pont entre science sociale et création) à cette adaptation d'une étude ethnographique (en un mot, cette fois), publiée voici treize ans. Un chercheur, Didier Fassin, avait alors suivi pendant quinze mois le travail des policiers, et plus spécifiquement de la Brigade Anti-Criminalité (BAC), groupe d'intervention en civil, créé dans les années nonante lorsque la question sécuritaire s'était invitée de manière insistante dans le discours politique et les médias. Cette plongée dans la routine de ces agents est à mille lieues de ce que montrent les reportages volontiers anxiogènes des chaines de la TNT, où des journalistes embedded, à l'image de ceux qui suivaient les soldats lors de la guerre du Golfe, rendent une vision univoque et électrisante de leur action.
Au fil des pages, il ressort un vrai décalage entre la réalité du terrain et l'imagerie associée à leur travail. Même les policiers semblent ressentir une sorte de frustration face à la monotonie de leur mission en regard du quotidien trépidant dépeint dans The Shield, série dont le portrait du personnage principal, Vic Mackey, orne de nombreux casiers. Pas de courses-poursuites, pas de flag... mais pourtant une obligation (officieuse) de résultat, c'est-à-dire des chiffres à atteindre en matière d'interpellations. Pour y arriver, il faut souvent s'appuyer sur des "variables d'ajustement", faciles à repérer et destinées à gonfler les statistiques. Il s'agit essentiellement des infractions liées aux stupéfiants et sur les étrangers. Pour les dénicher, il faut donc recourir aux contrôles ciblés, multiplier les astuces pour légitimer une fouille, induire une rébellion qui permet une arrestation... autant de petites pratiques exposées, avec leurs conséquences parfois désastreuses.
Ce que les auteurs mettent en avant, c'est la fracture constatée entre police et population. La méfiance s'est muée en défiance pure et simple. Le dialogue est rompu, surtout lorsqu'une intervention disproportionnée suffit à réduire à néant, en quelques minutes, les efforts de pacification d'un quartier.
Il faut préciser que ce livre ne remet pas en cause directement les policiers, même si elle rappelle la proportion importante de sympathisants du Rassemblement National dans ses rangs ou lorsque sont exposés les badges de certaines antennes des BAC qui flirtent un peu trop avec une imagerie guerrière et patriote. Tous les agents ne s'expriment pas dans le même sens, certains soutenant les méthodes en place, d'autres s'interrogeant franchement sur leur efficacité. Il s'agit plus de démonter un système qui, dès la formation des jeunes recrues, induit un antagonisme qui se perpétuera sur le terrain. Le traitement graphique, très sobre, évite d'ailleurs d'apporter des physionomies marquées. Il n'y a pas de mines patibulaires ou angéliques qui pourraient provoquer sympathie ou antipathie chez le lecteur. Les personnages restent anonymes, comme pour mieux insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un problème de personnes, mais bien d'un mal institutionnel.
Lors de sa publication, l'étude questionnait la doctrine du maintien de l'ordre appliquée dans les cités. Elle fit quelques vagues. Quelques mesures furent annoncées, mais jamais déployées. Dix ans plus tard, force est de constater que la situation n'a guère évolué. Les dernières planches reviennent sur l'actualité de ces dernières années, à commencer par l'état d'urgence décrété après les attentats de 2015, et son cortège de mesures exceptionnelles qui furent finalement intégrées dans la loi comme nouvelle normalité. Elle mentionnent aussi l'escalade des violences au cours des manifestations, l'acharnement contre des militants comme Cédric Herrou... la police y jouant chaque fois le rôle du bras armé du gouvernement. Si le parallèle avec la situation américaine est excessif, la question sur la différence entre son approche (policier armé en voiture, sans contact direct avec la population) et son équivalent anglais (le "bobby", souvent non armé et à pied) interpelle. Il en va de même pour l'efficacité plus qu'incertaine de la réponse uniquement répressive de l'Etat, comme si la seule option était de taper de plus en plus fort.
Le sujet est intéressant et s'éloigne de la vision "officielle", telle que véhiculée dans les médias généralistes. La critique semble malgré tout mesurée et évite la tentation caricaturale anti-flic. Elle tente de prendre du recul et de comprendre la réalité du terrain. Mais il est évident qu'une étude, qui plus est résumée et fatalement simplifiée lors de sa transcription en bande dessinée, ne peut être considérée comme faisant seule autorité. Elle apporte un autre point de vue. Par les temps qui courent, c'est essentiel.
Je tiens à le dire d'emblée: je suis assez admiratif dans l'ensemble du travail qu'effectue les forces de l'ordre dans un métier parfois très difficile car confrontés aux tristes réalité de terrain. Ils ne sont pas vraiment soutenus par leur hiérarchie, par la justice et par l'opinion public de manière générale. Pour autant, le reste qui va suivre ne va pas forcément vous plaire.
En effet, l'auteur a demandé à être un observateur durant des mois afin de réaliser une enquête ethnographique sur le travail de la police dans les quartiers populaires. Il a partagé le quotidien des policiers d'une grande circonscription de la région parisienne alors que la police se laisse difficilement observer en particulier par les chercheurs. Il en résulte cette BD après avoir été un livre qui a été assez décrié car les conclusions sont hautement sensibles.
Ainsi, on voit des jeunes de quartier qui n'ont rien fait et qui sont accusés à tort et plutôt malmené par les forces de l'ordre. Cela crée des tensions entre cette communauté issu de l'immigration nord-africaine et les autorités. On verra que les idées d'extrême droite ainsi que le racisme sont bien ancrés dans cette police.
On se souvient tous du soulèvement populaire sur tout le territoire suite au drame de Clichy sous Bois en 2005 où des jeunes avaient été électrocuté en tentant de fuir un simple contrôle d'identité. Je n'ai jamais subi de contrôle d'identité dans ma vie mais ces jeunes n'ont même pas encore la majorité qu'ils ont été contrôlé une dizaine de fois. Je m'interroge tout de même sur une telle discrimination opéré par les forces de l'ordre.
A noter que le ministère de l'intérieur avait déclaré que ces adolescents avaient été impliqué dans un cambriolage ce qu'une enquête allait démentir. Qu'importe, le ministre de l'intérieur de l'époque voulait à tout prix se faire élire président de la république sur le message de nettoyage de ces cités au karcher ce qui rencontrait une opinion plutôt favorable du reste du pays.
Quand les policiers arrivent; les jeunes courent immédiatement ce qui n'est pas une réaction normale mais c'est un réflexe instinctif chez eux même s'ils n'ont rien fait de répréhensible. L'expérience avait appris ces jeunes qu'il ne suffisait pas de n'avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et parfois aux interpellations.
En 2007, rebelote avec une voiture de police qui tue deux jeunes sur un scooter qu'on allait encore accuser alors que la violence du choc prouvait un excès de vitesse de la part des policiers. Là encore, relaxe des policiers. A noter que le syndicat des policiers en rajoute encore en parlant de violences perpétrées d'une incroyable sauvagerie inqualifiable à l'encontre des forces de l'ordre. Sur le terrain, la réalité semble différente.
A noter que ces unités d'élite n'hésitent pas à enfoncer des portes de logement quand on pouvait se contenter de sonner pour qu'on leur ouvre. Bref, ils ne font pas dans la dentelle. Ils font même dans la provocation tant ils haïssent ces jeunes des cités qu'ils surnomment pas très affectueusement les bâtards. Quand un jeune invoque une raison à un acte répréhensible, ils pensent que c'est un foutage de gueule et peuvent leur coller jusqu'à sept infractions pour se venger.
Les Brigades anti-criminalités seront passées au peigne fin par l'auteur qui a répertorié toutes leurs inconvénients. Ils doivent faire du chiffre et pour cela, ils sont prêt à tout. Ce sont ces agents qui sont redoutés par les habitants des cités. En effet, ils prennent souvent des libertés avec la loi dans les quartiers populaires surtout vis à vis des jeunes. C'est assez arbitraire et ce sont des vexations répétées qui ne concourent pas au vivre ensemble.
J'avoue que cette enquête mené de manière objective m'a fait assez froid dans le dos même si toute les forces de l'ordre ne pratiquent pas ainsi mais la police est d'ores et déjà noyauté par les idées d'extrême-droite (tout comme l'armée d'ailleurs). Ainsi, ils peuvent mettre leurs pratiques en conformité avec leurs opinions politiques. Et ceux qui ne partagent pas ces idées sont souvent écartés ce qui conduit à une concentration des agents les plus xénophobes et racistes au sein de ces unités.
Il y a un véritable profilage par couleur de peau qui leur permet d'interpeller des personnes en situation irrégulière quitte à les pousser à la faute pour y parvenir sans paraître enfreindre la loi. Des exemples assez iniques nous seront montrés sur leurs pratiques. Les outrages et rebellions contre personne dépositaire de l'ordre publique ont connu une croissance spectaculaire au cours de ces trois dernières décennies car ils sont encouragés à déposer des plaintes. Pour autant, ceux qui désirent porter plainte contre leur brutalité font l'objet d'épouvantables pressions. Et puis, leur parole est de peu de poids face à celle d'un agent assermenté dont les collègues viennent confirmer la version des faits à l'audience.
On est loin d'une police nationale qui concourt à la garantie des libertés, à la protection des personnes et des biens.
La police se donne parfois pour mission de protéger la jeunesse dorée (ceux qui vont dans des écoles à 10000€ l'année) de l'éventualité d'un vol ou d'une agression par la jeunesse des quartiers.
Sans aller plus loin,l'auteur va montrer pourquoi les policiers agissent de la sorte. Et ce n'est pas triste. Il y a comme une action de légitimation de leur agressivité en retour. Punir dans la rie leur apparaît comme une manière de se substituer à la justice qu'ils pensent défaillante.
Des études sérieuses révèlent que dans les quartiers populaires, les délits sont commis par un très petit nombre d'individus et reprouvés par la majorité des habitants. Cependant, les policiers ne savent plus faire la différence entre ces voyous et les honnêtes gens pauvres. Et puis, il y a les politiques qui hâtisent les tensions en stigmatisant ces habitants de cités.
Par ailleurs, dans le recrutement des policiers, il y a des erreurs de casting. On envoie ceux issus des milieux ruraux en première ligne dans les circonscriptions urbaines difficiles malgré le manque d'expérience. Or, il est prouvé que si on envoyait des policiers issus de ces quartiers urbains, cela se passerait autrement car ils privilégient le dialogue et la négociation pour résoudre les problèmes et non l'affrontement. Bref, la diversité sociale serait une solution pour s'en sortir.
Il est vrai qu'on se situe actuellement dans un contexte où l'on a accordé à la police des prérogatives de plus en plus large. Dans cette période de crise sanitaire, ces quartiers ont été les premiers à être contrôlé ainsi qu'en terme d'amende infligée alors que les beaux quartiers n'étaient pas en reste pour organiser des fêtes clandestines.
Je n'aime pas ce pouvoir discrétionnaire car il permet de pratiquer la discrimination en fonction de la classe sociale, de la couleur de peau, de leur lieu de résidence et parfois de leur religion.
La conclusion est sans appel à savoir le glissement de l'état social vers l'état pénal en réponse politique à l’aggravation des inégalités économiques. Le renforcement de l'action policière n'est pas la bonne solution mais bon. Au final, il convient de s'interroger sur les dérives policières de notre société car le maintien de l'ordre n'excuse pas tout. Une excellente BD qui ouvre à ce genre de réflexions.