A
ttablé en face d’une paire de colosses issus de la pègre locale, un geek aux grosses lunettes et aux dents proéminentes entame une négociation des plus osées. L’intéressé est accro au micropaiement. Quelques sommes versées de ci, de là, lui permettant de booster ses performances dans les divers jeux auxquels il participe. Seulement, avec son petit salaire, le gamer cumule les dettes. La bagatelle de cinq millions de yens qu’il entend monnayer grâce à son acolyte, Damiyan. Ce dernier possède un don de psychokinésie. Il est aussi redoutable qu’ahuri, et a déjà provoqué la mort de trois hommes. Une aubaine pour Monsieur Kômoto désireux de bousculer la hiérarchie afin de s’arroger une belle place à la tête de la mafia.
Auréolé de nombreux prix, le mangaka Naoki Urasawa est abondamment traduit. Seules ses œuvres de jeunesse ont jusqu’alors été boudées, ou mal éditées (notamment Pineapple Army, un tome sur huit parut chez Glénat). La maison Kana revient sur cette injustice et propose en cette rentrée littéraire Yawara ! - un classique du manga de sport, très en vogue au pays du Soleil levant. En complément, l’éditeur imprime une nouvelle anthologie de mini-récits publiés de 1995 à 2018. En effet, en tant que père de séries à succès (Monster, 20th Century Boys, Pluto, Master Keaton, Billy Bat), l’artiste est régulièrement courtisé par des magazines spécialisés. Il manifeste toujours un vif intérêt envers ces propositions, qui lui permettent d’expérimenter une approche différente du médium, voire d’aborder des thèmes encore peu explorés. Ce sont ses « atchoum ».
Atchoum ! / Éternuement [Kushami]
S’échappe de manière impromptue. Désigne les histoires courtes, par opposition aux histoires longues sérialisées. Déforme temporairement tout visage, même celui des plus belles femmes.
Ainsi, l’opus s’ouvre sur deux historiettes, Damiyan ! et Vise la Lune !, constituant un condensé des grandes sagas offertes par le créateur nippon. Rapidement, il distille son intrigue. Le rythme soutenu ménage de surcroit une chute soignée. L’ensemble est emporté par une aisance du trait qui assoit les choix scénaristiques. En l’espace d’une trentaine de pages chacune, ces chroniques témoignent de toute l’adresse de l’auteur à construire des thrillers.
À l’opposé, la fable Henry et Charles s’apparente à un clin d’œil au Looney Tunes. Le script met en œuvre un duo de souris appâtées par une part de gâteau alors qu’à proximité, un chat veille au grain. Ce Kodomo (livre destiné aux enfants) bénéficie d’une colorisation complète et imparfaite. La morale est dispensée dès les premiers enchaînements de cases qui, somme toute, ne sont pas de nature à révolutionner le neuvième art.
Ensuite, la passion du rock de Naoki Urasawa s’exprime via un trio d’anecdotes. L’un de ces feuilletons, It’s a beautiful day - publié en novembre 2018, dans Shôgakukan - est particulièrement empreint d’émotions. La postface évoque la genèse de ces planches qui est à attribuer au musicien de renom, Kenji Endô (1947 – 2017). Une courte promesse tenue post-mortem qui bouleverse le regard que, tout à chacun, peut porter à l’égard d’une femme poussant un landau.
Le royaume des Kaijû rend hommage aux longs-métrages de genre diffusés les soirs de la Saint-Sylvestre. En l’espèce, un Français passionné de monstres visite le Japon à la saison des géants. Cette comédie critique le comportement compulsif des fans, le tourisme et le ressort dramatique éculé de ce type de navet, où l’État consent à faire davantage de victimes pour sauver l’économie nationale (toute référence à l’actualité n’est que purement fortuite, les auteurs déclinent toute responsabilité en cas de poursuites).
L’ultime récit de ce florilège, Solo Mission, n’a que peu d’intérêt. Répondant amicalement à une commande pour les quarante ans des Humanoïdes Associés, l’illustrateur s’est confronté à la composition d’un gaufrier occidental (lecture de gauche à droite). En passant, il a fait abstraction du thème du recueil et a délivré un racontar convenu et dispensable.
De prime abord, la compilation Atchoum ! semble déliée. C’est le dessinateur en fin d’ouvrage, qui fait apparaître le fil rouge de ces morceaux choisis. Il évoque la culture des années 60-70 comme moteur de sa production, tant au travers des films de science-fiction, des courants musicaux que des sitcoms américaines. Ce lien est évidemment ténu. En revanche, la qualité graphique du manga est indéniable et la narration est souvent remarquable !
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