1966, voilà quatre printemps que Peter Parker se cache sous le masque de Spider-Man pour rendre la justice. De jour en jour, ses actions gagnent en sens, nonobstant que sauver les habitants de New-York induit le sacrifice de quelques heures de présence sur les bancs de la faculté de sciences. Par ailleurs, le jeune adulte éprouve des sentiments envers son binôme, Miss Stacy. Mais il ne doit pas lui révéler le motif de ses absences. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». C’était la dernière phrase de l’oncle Ben. Elle taraude sans cesse l’esprit de l’orphelin. Pesant sur sa culpabilité, elle trouve un nouvel écho après la résolution du golfe du Tonkin d’août 1964 et l’intervention massive des États-Unis au Vietnam. L’étudiant questionne nécessairement son engagement. Iron-Man et Giant-Man protègent les soldats américains. Lui, que fait-il ? Ce n’est que le début de ses tourments, puisqu’avec l’âge, les Hommes cumulent autant de regrets que de remords.
La mini-série Spider-Man : L’Histoire d’une vie se fonde sur une idée simple. Le temps s'écoule et les héros ne sont pas épargnés. Ils apprennent à s’accommoder des rides, de l’expérience et des douleurs lombaires. Chip Zdarsky se propose de compiler les tribulations de l'existence de l’homme-araignée et de les répartir en six épisodes. Chaque volet se consacre à une décennie, des sixties à la fin des années 2010. En l’espace de soixante ans, le Tisseur va connaître l’amour, perdre des proches, devenir père et transmettre son fardeau à Miles Morales.
Pour autant que l’intention semble évidente, elle abat au passage toute la continuité de l’univers Marvel. Or, les services marketings invitent inexorablement à présenter des personnages dans lesquels le lectorat peut se projeter. Et, si vous connaissez des lecteurs qui avaient 15 ans en 1962, les commerciaux de la Maison des Idées vous rappelleront qu’ils sont moins nombreux que les petits jeunes frais émoulus. Les Super-héros sont dès lors figés dans un âge tout en évoluant au sein d’une réalité contemporaine. Toutefois, cette vérité est périodiquement remise en cause, d’abord sous l’impulsion de Frank Miller qui, chez le concurrent, a produit The Dark Knight Returns, puis au gré des initiatives des écrivains « bankables ». L’exemple le plus probant demeure Old Man Logan qui présente la déchéance de Wolverine à la merci d’un monde post-apocalyptique. La nouvelle du scénariste Mark Millar et du dessinateur Steve McNiven a connu un tel succès que l’éditeur a installé le titre en proposant une série régulière. Seulement, quand bien même les pensées changent, il fallait un petit coup de pouce du destin. Les planètes se sont alors alignées. L’an dernier, la division édition du groupe Marvel Entertainment est devenue octogénaire et, pour l’occasion, une pluie d’annonces s’est abattue sur le neuvième art. Rééditions, coffrets collectors, compilations, nouvelles sagas, frappant tout azimut le département communication a officialisé la parution d’un court feuilleton révolutionnaire sur le célèbre protecteur de Big Apple.
Steve Murray garde précieusement son identité secrète. Sous le nom de plume de Todd Diamand, il officie en qualité de journaliste. Il utilise aussi le pseudonyme de Chip Zdarsky lorsqu’il réalise des illustrés. Pour Image Comics, il a commis Sex criminals en collaboration avec Matt Fraction (publié en France par Glénat). Un bon accueil de la critique a contribué à ce qu’il soit embauché afin de relancer Howard The Duck. Par la suite, il a orchestré les épopées de nombreuses têtes d’affiche (Daredevil, Invaders, Star-Lord). Après un épisode remarqué (Peter Parker : The Spectacular Spider-Man), l’intéressé s’est attelé au défi de retracer la carrière de l’agile photographe du Daily Bugle. Il délivre alors un cours magistral portant sur la synthèse. Facile d’accès et référencé, son script enchaîne les clins d’œil en maintenant une exigence de lisibilité. Mark Bagley est associé au projet en raison de sa parfaite maîtrise du sujet. L’artiste a principalement trouvé la reconnaissance de ses pairs en succédant à Todd McFarlane et Erik Larsen sur Amazing Spider-Man, tout en tenant une cadence effrénée sur Ultimate Spider-Man. De facto, son rendu est un lieu-commun pas désagréable. Il dépeint impeccablement les antagonistes comme les figurants et, surtout, il illustre idéalement les contorsions du surhumain au milieu des buildings.
Malgré la justesse de l’entreprise, une interrogation persiste. Finalement, cette publication n’est-elle pas précipitée ? Stan Lee et Steve Ditko ont créé Spider-Man en 1962. Le personnage fêtera donc un bel anniversaire en 2022. Ces trois années supplémentaires auraient permis de peaufiner l’ouvrage et d’éviter divers écueils. En effet, la plus-value de cette fiction repose sur la capacité à faire vieillir l’éternel adolescent. Sa personnalité s’affirme et le doute s’installe concomitamment aux blessures de vie. Or, ces événements soumis à une chronologie propre sont mis en images de façon strictement semblable. Ni la colorisation, ni le graphisme n'ancre le récit au cœur des différentes décennies. L’autre défaut réside dans le fait de vouloir multiplier les renvois aux aventures mémorables (la famille Osborn, la mort de Gwen, la Saga du Clone, Battleworld, la naissance de Claire et de Benji, le symbiote, Kraven, la disparition de May, Civil War, la transmission du costume) alors qu’en parallèle, les annotations qui donnent une temporalité sont rapidement éludées. De cette manière, la Guerre froide est expédiée en deux pages et les attentats du 11 septembre en une seule case. Au fur et à mesure des séquences, les références s’auto-alimentent et déconnectent la narration du réel au point que la force du concept se délite légèrement.
Spider-Man : L'Histoire d’une vie est un exercice de style qui réussit la prouesse de condenser toutes les péripéties de l’arachnide en la bagatelle de cent quatre-vingt planches. Une approche salutaire qui piquera la curiosité des fins connaisseurs, à n’en pas douter !
C’est après avoir entamé la lecture du run de Chip Zdarsky sur la série Daredevil que j’ai voulu découvrir ce qu’il avait scénarisé auparavant. Rien de notable en vérité si ce n’est peut-être Sex Criminals et plus récemment une série secondaire de Spider-Man. Et c’est sûrement à la suite de cette dernière qu’est née l’idée de l’homme-araignée prenant de l’âge tout du long de ses aventures (Spider-Man: Life Story 2019, #1-6).
L’idée est plutôt originale même si Peter Parker a déjà vieilli avec ses lecteurs (du collège au lycée, de son mariage à sa paternité avortés, etc.) et que d’autres super-héros avant lui ont connu un alter ego plus âgé. De plus, cette idée cadrait bien en 2019 avec les quatre-vingt ans de Marvel. Seulement, l’exploitation qui est faite de celle-ci m’a un peu déçu. Le scénario concentre soixante ans d’aventures en six épisodes, il va à tout allure, se focalise sur quelques périodes marquantes – le Bouffon vert, Kraven, le Docteur Octopus, la Saga du Clone, Civil War, Venom, Miles Morales – et enchaine donc les scènes d’action toutes les deux pages. Rares sont les réflexions sur le temps qui passe, sur ces combats sans fin ou sur la postérité, ce n’est finalement qu’un comics comme un autre. Ainsi, s’il a assurément vieilli, Peter Parker n’a pas vraiment mûrit. Mais, n’étant pas un gros lecteur de Spider-Man, je suis sans doute passé à côté de quelques références ou clins d’œil qui apportent ce petit plus à la lecture.
La mini-série est illustrée par Mark Bagley, un dessinateur ayant officié de longue date sur plusieurs séries relatives au tisseur et notamment Ultimate Spider-Man avec Brian M. Bendis. Il s’en trouve à ce titre plus légitime que son scénariste pour parler de la vie de Spider-Man ; peut-être aurait-il fallu embaucher Dan Slott pour cet hommage ? Si sa légitimité n’est pas en cause, j’ai tout de même eu du mal à apprécier son travail. Je reconnais que c’est détaillé, propre, dynamique et efficace, soit probablement ce que le lecteur moyen attend d’un comics. Mais le style me parait impersonnel et je n’y trouve pas la patte de l’artiste.
L’album s’étant sûrement très bien vendu, Panini Comics l’a réédité sous pas moins de six couvertures différentes (une par décennie). Qu’il y ait parfois une couverture variante pour un événement ou une librairie en particulier, ok. Mais six ? Pour de la VF ? Et pour une réédition ? L’éditeur avait déjà eu cette pratique mercantile lors de la sortie de 5 Ronin. Les acheteurs de la première heure, qui demandent avant tout des albums abordables et disponibles en librairie, apprécieront ce sens des priorités…
C'est mon héro préféré. Je l'adore. Très bel article. Avec une description au top. Il n'y a plus rien à dire. Merci pour le partage.