C
’est la rentrée au lycée de Hazelton. Nouvelle et timide, Sasha préfère ne pas se faire remarquer. Manque de chance, elle devient la cible de l’attention et des sarcasmes quand une grosse tache rouge se forme sur son jean blanc. Bonjour la honte ! Paniquée, la jeune fille trouve aide et soutien auprès d’Abby, Brit et Christine. Ces dernières lui expliquent qu’elle a ses règles et lui fournissent le nécessaire. Au passage, elles notent qu’encore une fois le distributeur de protection est vide. Face à cette pénurie, Abby entraine ses copines dans une croisade pour sensibiliser direction et élèves. Il n’y a pas de raison que les membres du club de football reçoivent des tenues neuves et que la moitié de l’école ne puisse même pas bénéficier d’un produit d’hygiène de base !
Les métaphores n’ont jamais manqué pour désigner le flux menstruel. D’aucunes ont leurs fleurs ou leurs ragnagnas, d’autres écrasent des tomates, ou alors ce sont les Anglais qui débarquent. Cependant, si toutes ces expressions imagées restent couramment usitées, préservant peu ou prou une certaine pudeur, le tabou frappant les menstruations ne cesse de s’affaisser. Quelques influenceuses affichent crûment la preuve visible de leurs « indispositions » sur la Toile, des blogueuses écrivent volontiers des billets sur la question. Mieux ! Une célèbre marque a enfin délaissé l’improbable liquide bleu versé sur la serviette hygiénique dans ces spots publicitaires, pour y faire désormais couler une substance rouge plus proche du fluide sanguin. Hourra ! Tout serait donc réglé ? Presque, comme le laissent entendre Lily Williams et Karen Schneemann dans leur album consacré à la question.
Sous couvert d’une histoire d’amitié en milieu scolaire, les autrices abordent sans fausseté ni artifice ce sujet délicat des menstruations, des interrogations que leur première survenue suscite, des désagréments qui les accompagnent bien souvent, de leurs symptômes fluctuants d’une personne à l’autre. Grâce à la diversité présentée et à la justesse du ton, le propos permet de dédramatiser ce fait naturel. Il évoque également les non-dits qui entourent cette affaire, autant à travers l’absence de réaction de la mère de Sasha à l’annonce des premières règles de cette dernière ou par la tendance du personnel administratif du lycée à esquiver le problème. Autre réalité, les moqueries et la stigmatisation véhiculées par les camarades sont aussi bien mises en avant. Toutes ces attitudes négatives se voient contrebalancées par celles affichées par le groupe d’héroïnes. À travers leur vécu, le récit montre les aspects positifs de l’initiation par les paires – en l’occurrence les amies -, les bienfaits du dialogue et de l’ouverture. Par ailleurs, un aspect tout aussi important de la vie des adolescentes, à savoir les émois amoureux, est traité au gré des événements, que ce soit franchement ou de manière plus subtile pour l'une des protagonistes. Enfin, cette bande dessinée retient surtout l’attention par son côté militant, incarné par la rouquine du groupe qui se donne entièrement à son combat pour l’accès gratuit aux protections périodiques dans son établissement. Tout cela se révèle adroitement mené, avec humour et modernité.
Pour transmettre leur message, Lily Williams et Karen Schneemann ont choisi une mise en image à l’avenant. En effet, d’une part, le dessin semi-réaliste va à l’essentiel, restitue de façon convaincante expressions et émotions, mais offre aussi une belle variété de silhouettes (point de discrimination !). D’autre part, la colorisation saute immédiatement aux yeux et immerge littéralement le lecteur dans un bain de nuances allant du rosé très clair au brun-rouge foncé, avec un peu de blanc, de noir et de marron. Bref, il y a là toute la gamme des couleurs associées aux ménorrhées. Pour le reste, le découpage s’avère fluide et les cadrages variés.
Dans l'air du temps et volontairement décomplexé, Les règles de l'amitié constitue une lecture intéressante et profitable pour celles ou ceux qui s'interrogent sur ce phénomène pourtant bien naturel. À mettre entre toutes les mains.
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