A
uteur devenu rare au fil des années, Baru revient aux affaires avec un ambitieux projet prévu pour s’étaler sur trois volumes. Après de nombreux polars, Bella Ciao est également une sorte de retour aux sources pour le créateur des Quéquette blues, puisqu’il se propose de replonger dans ses racines de fils d’émigrés italiens. Au-delà de l’autofiction traditionnelle, c’est tout un pan d’un passé en train de s’étioler avec la disparition des derniers témoins de cette époque dont il est question, interrogations sur la fiabilité des faits et petits arrangements avec la réalité compris.
Découpé en quatre parties distinctes, l’album débute sur un épisode tragique et peu connu : quand les rivalités entre travailleurs français et transalpins dégénérèrent en émeute sanglantes aux salines d’Aigues-Mortes en 1893. Événements qui seront suivis de l’expulsion des ouvriers étrangers pour cause de préférence nationale sur fond de crise économique. Superbement dépeinte en noir et blanc avec une énergie et un mouvement impressionnant, ces pages se montrent frappantes et d’un réalisme implacable. Sensation immédiatement contredite par Baru lui-même qui avoue avoir été obligé de « tricher » pour montrer ces hommes. En effet, peu ou pas de documents existent à propos de cet incident et le dessinateur a dû piocher ici et là dans des archives diverses pour donner une identité graphique à ceux qui auraient pu être ses ancêtres.
Il reprend au rebond cette conclusion en forme de doute dans le récit suivant qui réitère une conversation familiale de fin de repas autour de la célèbre chanson Bella Ciao. Chez les Barulea, tout le monde connaît et aime ce chant révolutionnaire, mais chacun l’entonne avec sa propre version ! Quelle est donc l’origine de cet hymne revenu à la mode grâce aux braqueurs de la Monnaie d’Espagne ? Le cousin Antoine – un intello professeur de sociologie linguistique - arrive à la rescousse et fournit une explication savante et détaillée. Les révélations du fruit de ses recherches étonnent et soulignent la fragilité des mémoires et l’importance de les colliger avant qu’il ne soit trop tard.
Fortes de ces considérations, les deux dernières histoires, peut-être les plus intimes, racontent une partie de la trajectoire de la famille du scénariste. Les anecdotes, les secrets, le goût des cappellettes de la mama impossible à recréer (la recette est incluse, comme ça chacun pourra s’y essayer), etc. Autobiographie sincère ou racontars historiques ? De l’excellente BD, tout simplement.
Carton plein pour le Grand Prix 2010 d’Angoulême ! Prenant, drôle, dramatique et tendre, Bella Ciao s’avère être une lecture passionnante, dessinée avec grâce et d’une intelligence remarquable.
On plonge tout de suite dans l’histoire avec cet événement méconnu qu’est le massacre d’Italiens immigrés à Aigues Morte en 1893, tout est déjà là : la défiance de l’étranger qui se transforme en haine quand la misère rôde et que le travail est rare. Tout est forcément de sa faute et il doit partir, sinon …
Puis c’est le décor de la série qui est planté : un repas de communion qui réunit toute la famille (la smala des macaronis) et qui sera l’occasion d’évoquer nombre de souvenirs vécus par cette famille italienne. Nous sommes au début des années 60 seulement 15 ans après la guerre, encore présente dans tous les esprits. C’est Teo, le communiant du jour, qui en sera le narrateur, il restera le fil conducteur de toute la série. Bella ciao, ce chant des partisans (mais est ce bien le cas ?), sera au centre des débats. Mais pas que, on parlera aussi naturalisation, fascisme en Italie et ses répercussions sur la vie des immigrés italiens en France, engagement des volontaires pour aller faire la guerre en Espagne.
Le scénario est magnifiquement ficelé, on alterne entre réalité et fiction, passé et présent. C’est du grand art servi par un dessin flamboyant, avec toujours ces petits détails qui changent tout et nous émeuvent : la chemise rouge du grand-père, rouge aussi le foulard du jeune volontaire en Espagne, courts les pantalons pour exhiber de magnifiques chaussures, noirs et jaunes les habits fascistes des petits Italiens des cités qui reviennent de leur colonie au frais du Duce. On a tous les ingrédients d’une tragi-comédie comme savait si bien le faire le cinéma italien. Parfois l’auteur s’invite dans le récit, jusqu’à nous convier à manger des « capellettes »…
Merci Hervé pour cette page de mémoire collective, qui parlera à tous les Ritals, mais pas que.
Avis sur la série
Avec BELLA CIAO, BARU nous livre son grand œuvre et nous révèle qu’il y a encore beaucoup à dire sur l’immigration italienne, l’intégration à en devenir transparent, la nostalgie du temps qui passe inexorablement mais qui ne doit pas nous faire oublier. C’est un propos universel sur le regard porté à l’étranger, à l’autre qui n’est pas comme nous, qui dérange avec son histoire, sa culture forcément différente. C’est aussi un manifeste pour tous ceux qui peu ou prou ont baigné dans cette atmosphère, ce sentiment étrange d’être profondément français mais avec cette différence indicible dès lors qu’on se penche sur ses racines. C’est aussi une madeleine de Proust qui réveille les souvenirs, la musique et les chansons reprises en cœur, les merveilleux plats italiens préparés par la « mamma » ou la « nonna », les interminables discussions des anciens lors des retrouvailles familiales avec toujours beaucoup de monde autour de la table, et oui les immigrés n’ont pas oublié de faire des enfants. Pied de nez à la vie, à l’avenir que tous ceux qui sont venus d’ailleurs ont cru meilleurs pour leurs enfants et petits enfants.
C’est aussi pour BARU l’occasion de rappeler l’histoire, en nous racontant des faits réels, souvent oubliés, vécus par ces immigrés qui ont payés de leur personne, de leur vie leur engagement pour la liberté, la fraternité. Ces histoires qui s’insèrent dans le récit principal donne un découpage très cinématographique à la série, une modernité narrative bienvenue et très efficace. Qui connaissait le massacre d’Italiens à Aigues-Mortes en 1893, l’implication des Garibaldiens dans la guerre de 14-18, les morts de Bligny en 1918, l’engagement des Italiens de France dans la Résistance ou la guerre d’Espagne, la réalité de l’immigration clandestine des années 50 …
C’est beau et fort, merci Hervé d’avoir su exprimer si bien le vrai vécu des immigrés, entre volonté de s’intégrer et préservation (consciente ou non) de sa différence. Oui il faut s’intégrer à en devenir transparent, c’est sans doute une nécessité mais qui n’empêche pas de se souvenir de ses racines.
Le découpage est assez déroutant de prime abord mais en y réfléchissant (hé ouais, on peut réfléchir avec une bd!) cette plongée plus ou moins généalogique et autobiographique peut difficilement s'appréhender en un bloc. C'est plutôt bien typé sans être caricatural y compris sur les éléments culinaires (miam!). Il est intéressant de voir comment ces immigrés-émigrés 1ère-2ème génération ressemblent à ceux d'autres pays venus plus tard et encore à l'heure actuelle. On y voit aussi l'impact du présent de la mère patrie sur leur attitude. J'y vois aussi un parallèle avec la communauté turque aujourd'hui que je côtoies régulièrement (je ne fais pas de jugement de valeur!).
Un 1er tome qui ne laisse pas indifférent.
De Baru, auteur solide et singulier, j’avais lu et aimé « Pauvres zhéros » et « L’enragé ». N’ayant aucun de ses titres dans ma bibliothèque, j’ai vu avec 'Bella Ciao' l’occasion de pallier cette lacune. Je l’ai donc acheté sans hésiter, alléché par le bandeau vantant « le grand œuvre » du Grand Prix d’Angoulême 2010.
Hélas, je suis passé complètement à côté. C’est d’autant plus dommage que je devine cet album bourré de qualités. Mais étrangement je n’y ai vu que des défauts, probablement parce que j’en attendais autre chose.
En fait, comme le titre et la couverture le suggère, j’espérais une fresque historique narrant l’immigration italienne et l’avènement de « Bella ciao », ce chant partisan emblématique, remis au goût du jour ces dernières années par des manifestantes du monde entier et une série télé. Au lieu de cela, je n’ai trouvé dans ces pages que 4 histoires plus ou moins indépendantes et assez inégales dans le fond comme dans la forme, toutes très éloignées de ce que j’imaginais…
Le découpage et le dessin des personnages m’ont semblé complètement illisibles, notamment pour le 1er chapitre, décrivant le massacre gratuit d’immigrés italiens à Aigues-Mortes en 1893. L’épisode est certes édifiant, mais incapable de m’y retrouver dans l’action et les différents protagonistes, je n’y ai rien compris. Idem pour le 2ème chapitre, plus autobiographique, qui nous entraine au cœur d’un repas de famille dans les années 70. Malgré l’analyse érudite de la fameuse chanson, je suis resté complètement extérieur à la scène, sans arriver à m’intéresser aux débats ni savoir qui était qui. Le ton du 3ème m’a semblé décalé et l’épaisse documentation jointe plutôt fastidieuse. Le 4ème et dernier, évoquant Mussolini et le fascisme, est assez pertinent mais il demeure trop anecdotique puisqu’il s’agit en réalité d’une recette de cuisine…
En définitive, je crois comprendre l’aspect intime de l’ouvrage, cette plongée dans la mémoire familiale, le besoin d’y puiser des ressources, d’en collecter des fragments pour la reconstituer et retracer son parcours, retranscrire les évènements avant qu’ils ne s’effacent, remettre les bonnes personnes à leurs vraies places, leur rendre hommage. Cette mise en perspective de leur histoire est salutaire, voire nécessaire mais quelque chose a fait que sous cette forme-là, je n’y ai pas adhéré et ne me suis pas du tout senti concerné par le travail pourtant impressionnant qu’a fourni Baru. Je n’en ai ressenti ni l’émotion ni la nostalgie.
« Bella ciao » est annoncé comme une trilogie mais à ce stade, je ne suis pas sûr de poursuivre sur les 2 prochains tomes. Je pense tout simplement que ce récit n’est pas fait pour moi.
Mais s’il ne m’a pas convaincu, j’encourage quand même à le lire pour se faire son idée.