L
e 11 septembre 1973, après des heures de résistance face à l’assaut des militaires du général Augusto Pinochet, Salvador Allende se suicide dans le palais présidentiel, à Santiago du Chili. Quelques jours plus tard, le regard d’une femme s’arrête, horrifié, sur le cadavre de son mari, Victor, dont les mains ont été mutilées. Des mains qui, trente-cinq ans auparavant, plaquaient leurs premiers accords sur une guitare au village de Lonquén. À l’époque, issu d’un milieu pauvre, le jeune Jara n’imaginait pas qu’un jour, il trouverait sa vocation dans les arts pour devenir metteur en scène, puis chanteur connu et engagé.
En cette rentrée, Des ronds dans l’O édite, en partenariat avec Amnesty International, une biographie dessinée de Victor Jara (1932-1973), musicien folklorique éminemment populaire et militant communiste qui a payé de sa vie sa volonté de défendre les plus humbles dans ses textes. Cette publication arrive alors que, depuis 2019, les rues chiliennes résonnent de ses chansons, reprises par une population manifestant contre les inégalités, et qu’en 2018, neuf de ses dix tortionnaires ont (enfin !) été condamnés par leur pays pour son assassinat.
Après Printemps noir qui retraçait le combat du journaliste cubain Alejandro González Raga, Maxence Emery dresse donc un portrait documenté du compositeur de El Derecho de vivir. L’album s’ouvre sur les événements de septembre 1973, avant un retour en arrière évoquant d’abord l’enfance du personnage principal, entre une mère dévouée et un père maltraitant. Ensuite, le récit navigue du passé au déroulement des derniers jours de l’artiste. Ainsi, le scénariste narre le rapide passage au séminaire, enchaîne sur la formation aux arts dramatiques et s’attarde sur une florissante carrière internationale. Il met également en avant les rencontres, aussi nombreuses qu’essentielles pour comprendre la psychologie et les choix du chanteur. Que ce soit Violetta Parra, sa compatriote, le groupe Cuncumén, Ernesto « Che » Guevara, Salvador Allende ou des étudiants, des ouvriers et des paysans anonymes, tous ont eu un impact sur l’homme et son engagement. Une autre figure se détache fortement, celle de Joan, l’épouse de Victor Jara, qui l’accompagne ou l’attend, avant de s’inquiéter quand les choses deviennent dangereuses. En effet, progressivement, la violence s’immisce dans le quotidien de l’activiste qui chante l’amour universel et le pacifisme. Jusqu’à l’issue fatale, qui ne peut laisser indifférent et dont a surgi un ultime poème repris en fin d’album.
Hors du commun et interrompue tragiquement par la haine de quelques-uns, l’existence de ce défenseur et chantre du peuple est illustrée par Joséphine Onteniente. Quoique, de prime abord, son trait au rendu un naïf ne remporte pas forcément l’adhésion et manque de dynamisme, il se révèle expressif et sert efficacement le propos, finalement. Dans des planches qui peuvent contenir jusqu’à douze vignettes, le dessin est parfois réduit par des phylactères particulièrement verbeux ou, au contraire, prend davantage de place lors de certaines séquences. Il va toujours à l’essentiel, s’affranchissant souvent des décors, mais offrant quelquefois de très beaux panoramas. Enfin, il s’appuie sur une colorisation jouant sur une alternance des variations de deux couleurs principales – le bleu et le rouge -, auxquelles s’ajoutent des touches de blanc, de noir et des grisés. Quand les teintes dominantes s’interpénètrent, c’est pour souligner un élément ou renforcer une ambiance.
Avec ses cent soixante-dix pages, Victor Jara. La voix du peuple propose un aperçu complet de la vie d’un homme de conviction, torturé et tué pour ses idées et ses chants militants. Une belle manière de (re)découvrir son engagement, sa passion et, surtout, de ne pas l’oublier.
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