D
ans Contes ordinaires d’une société résignée Ersin Karabulut dressait le portrait d'un monde éteint, écrasé par des pouvoirs et des forces toujours plus arbitraires. Ce n’était que le début, car Jusqu’ici tout allait bien…, tel que l’annonce le second tome des Contes Ordinaires du plus turc des auteurs estampillés «Fluide».
Contraint d’user de métaphores filées afin de ne pas se faire trop remarquer des censeurs, le scénariste explore les dégâts que le formatage des esprits par les pensées dominantes ont sur lui et ses semblables. L’excellent humour noir façon Miguelanxo Prado et l’acuité effrayante des observations se suffiraient à eux-mêmes et n'engendreraient pas plus de réaction que n’importe quelle autre satire sociale. Malheureusement, le contexte politique de la Turquie exige du lecteur de prendre un peu de recul. En effet, derrière ces fables se cachent des situations dramatiques qui donnent une tout autre ampleur à l’album. Rien n’est gratuit et, si les attaques sont claires pour celui qui sait lire entre les cases, la vérité est que Karabulut doit absolument éviter de trop user de la provocation s’il veut continuer de pratiquer son métier ou simplement rester libre.
Un soupçon de Georges Orwell, une poignée de S.O.S. Bonheur (première époque) et, surtout, un immense talent de conteur couplés à une réalisation graphique sans faute, Jusqu’ici tout allait bien… ne peut qu’inspirer le respect. Selon Georges Duhamel, «L’humour est la politesse du désespoir», rarement cette citation n'a été aussi bien adaptée à un artiste et à son œuvre.
10 contes absurdes et pourtant qui comme souvent dans l'exercice nous interrogent. Certains se reconnaitront dans le 1er ou l'aimeront moins d'autres penseront le contraire.
Ce qui est sur c'est qu'il faut apprécier l'absurde et ensuite tout un chacun trouvera "conte à son pied" . Dans tous les cas nous sommes interpelés et cela bouscule la société,car toutes ces histoires se situent en limite.
L'auteur réussit à créer à chaque fois un monde bigrement cohérent et inquiétant.
Le dessin est souvent très beau et particulièrement bien réussi. Même si personnellement j'ai moins aimé les passages plus symboliques.
A lire.
Après les "contes ordinaire d'une société résignée", Ersin Karabulut revient avec une suite au vitriol tout aussi décapante que le premier opus.
Nous suivons donc, à nouveau, différentes histoires indépendantes et réparties sur plusieurs planches qui dépeignent l'absurdité et les dysfonctionnements de nos sociétés occidentales (les réseaux sociaux, les couples, le sexe, l'éducation…). C'est tantôt étrange, ubuesque, vulgaire, violent, gore, caricaturé à l'extrême, fantastique mais surtout noir à souhait !
Le dessin est très particulier et renforce encore plus le côté malsain/étrange des situations évoquées pour un rendu fourmillant de détails en arrière plan de chaque case. Ces corps déformés, ces étrangetés m'ont rappelé des œuvres cinématographiques d'auteurs tels que Lynch, Cronenberg voire Dali par instant.
Néanmoins, qu'est-ce qui bloque ?
L'une des histoires du deuxième opus ('le monde d'Ali') illustre parfaitement le problème du discours de l'auteur avec un cruel manque de nuance et de subtilité (les conservateurs sont tous méchants, les autres gentils !). A certains moments, les chutes d'histoire ne sont pas formidables, la dénonciation de l'auteur y est parfois appuyée de façon pachydermique, quant parfois elle est obscure.
S'il n'y avait pas eu ce message politique surligné au Stabilo rose fluo et ce manque de clarté, cette BD se serait hissée vers le haut du panier des œuvres contestataires, mission à moitié remplie.
Dans la lignée des idées noires de Franquin, les contes ordinaires d'Ersin Karabulut se laissent lire si on accepte de se plonger dans des histoires à caractère anticonformiste et que l'on apprécie l'humour noir.
A ne pas mettre entre toutes les mains.
La claque. Comment en quelques cases, quelques planches, quelques histoires courtes, éveiller les consciences, dénoncer des totalitarismes dont nous sommes les 1ers à être complices, sans pour autant courir le risque de la censure ou pire pour son auteur. Scenarii sur le fil du rasoir, dessins qui accompagne parfaitement.
Chapeau bas, Ersin Karabulut !
Ersin Karabulut est un dessinateur turc réputé et figure de la contestation de gauche au pouvoir via le magazine satirique « Uykusuz ». Ce qu’il y a de passionnant dans cet album c’est l’ouverture qu’il nous donne sur une société cousine, si loin si proche, dont beaucoup d’occidentaux ne veulent pas au sein de l’Union européenne mais dont les déboires autoritaires avec leurs dirigeants nous peinent. En croquant ces contes satiriques on reconnaît nos vies quotidiennes enfermées dans une addiction technologique aux smartphone, dans des démocraties de basse intensité qui s’accommoderaient finalement bien d’une prise en charge des affaires publiques par des sociétés internet avec des consultations populaires via des appli… mais aussi des marqueurs plus étrangers, ceux de sociétés encore traditionnelles, étirées entre d’anciennes générations aux mœurs très conservatrices et des jeunes occidentalisées. Ce qu’on imagine de la Turquie, à savoir ce qu’il peut y avoir de plus moderne dans les sociétés musulmanes orientales. La variété des contes est saisissante. D’une ligne graphique relativement homogène et fort agréable, l’auteur aborde avec une noirceur que ne renierait pas le Franquin des Idées noires sa société autant que le monde capitaliste mondialisé. D’une ironie très drôle dans les tronches croquées, il sait être plus sombre et poétique lorsqu’il parle des mirages de l’occident pour des migrants pas toujours dupes de ce qu’ils perdent et de l’acculturation qui les guette.[...]
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