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out est parti d'une initiative du festival Lyon BD en 2018 : Réaliser des portraits d'anonymes. Chloé Cruchaudet adhéra directement au projet et elle lança un appel à contributions: En deux mots, le principe est de me raconter la vie, ou une tranche de vie, d’une personne que vous connaissez, et que vous trouvez REMARQUABLE. Nul besoin de faire de la grande littérature, en revanche si votre récit est surprenant, authentique, poignant… Je suis preneuse ! »
Des hommages spontanés affluèrent. Ils servirent de matière brute pour l'autrice. Elle en sélectionna quatorze. Son choix s'est opéré selon la manière dont ses personnages la touchaient et si elle visualisait comment générer l'étincelle qui lui permettrait de transcrire leur esprit en bande dessinées. Le livre reprend d'ailleurs l'intégralité des textes qui ont inspiré ces pages, ce qui permet parfois d'apporter un nouvel éclairage aux planches qui en découlent. C'est par exemple le cas pour la courte scène à propos d'un frère dont on devine le mal être. Le contexte n'est que suggéré dans la partie dessinée, alors qu'il est bien plus explicite à l'origine.
La singularité de chaque sujet est le seul fil rouge de cet ouvrage. À chaque récit, le style s'adapte pour coller au mieux à la personnalité qui y est présentée. L'imaginaire presque enfantin qui entoure Denise, la présumée sorcière côtoie le symbolisme qui souligne l'errance de Bill. Le veilleur de nuit de la station à essence est présenté avec beaucoup humour, à cent lieues de l'évocation onirique d'Émilie. La patte de Chloé Cruchaudet reste pourtant toujours visible. Elle y déploie toute l'étendue de sa palette.
Devant la variété des récits, il est évident que lecteur sera plus ou moins sensible à l'un ou l'autre chapitre. Certains paraîtront plus dispensables, simplement pour une question de sensibilité personnelle. Il est évident que la sélection opérée par l'autrice en dit déjà énormément sur elle. De plus, elle inclut un récit autobiographique terriblement émouvant sur une de ses amies. Son enthousiasme transparaît dans les planches et elle réussit complètement dans son entreprise : capturer des moments de grâce où des personnes a priori banales deviennent soudain essentielles. Sur le [url=https://lesbellespersonneslyon.wordpress.com/]blog[/url] créé à l'origine se trouvent également ainsi que tous les autres, ceux qui ont été écartés. A la lecture de certains d'entre eux, il est permis de penser qu'il y avait sûrement de quoi nourrit un deuxième tome. Mais est-il judicieux de prolonger l'exercice, l'important n'est-il pas de trouver de belles personnes dans la vraie vie ?
Je le dis tout de suite: le graphisme minimaliste ne m'a absolument pas convaincu pour son coté trop brouillon et non réaliste. Cependant, parfois, il m'arrive que je puisse apprécié une œuvre malgré cela.
En effet, c'est plutôt la démarche de l'auteure que j'ai apprécié. Elle a voulu faire le portrait non pas de super-héros qui sauvent le monde mais de personnes totalement anonymes rencontrées au fil du temps et qui sont à leur manière ce qu'on appelle de belles personnes. Elle souhaitait leur rendre hommage en image.
La première fois que j'ai entendu ce terme de belles personnes, j'ai ressenti quelque chose de neuf et d’intrigant. On n'a pas besoin d'être un héros, on peut par nos actes ou notre attitude bienveillante être de belles personnes non pas physiquement mais moralement.
Certains de ces portraits m'ont plutôt touché. Ma préféré est sans doute ce fantôme de l'abribus car il y a un côté un peu mystérieux. J'ai aimé également ce jeune trentenaire isolé au fond d'un bar qui agit en prince même s'il ne l'est pas avec ce côté poète. Il y a également cette voisine qui cultive de drôles de plantes dans son jardin ou cet éboueur qui chantent à tue tête sans oublier Mint le pauvre chien qui cache bien son jeu.
Dans ces anonymes, il y a quelque chose de profond à saisir, sans doute de l'humanité retrouvée.