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ix mai 1981, contre toute attente, Coluche est élu président. Passé le choc et les festivités organisées pour marquer le coup, le temps de gouverner est arrivé. Plus facile à dire qu’à faire aux pays des râleurs patentés : quasiment immédiatement des demandes, souvent contradictoires, arrivent à l’Élysée. On va commencer par l’apéro, pour le reste on verra.
Qui a dit que les uchronies devaient être obligatoirement sombres et dramatiques ? Sûrement pas Fabrice et Jean-Marcel Erre ! Et si le canular de Coluche avait été à son terme ? Présenté comme un dossier secret, Coluche Président ! raconte ce qu’il s’est réellement passé il y a quarante ans et que tout le monde semble avoir oublié. Mi-hommage au plus sympathique des clowns, mi-leçon sur les réalités du pouvoir et mi-pochade purement gratuite (oui, ça fait une moitié de trop, mais ça boit sec au fil des chapitres), le scénario passe constamment du coq à l’âne alors que la Nation se doit d’être dirigée. Que faire devant la complexité de la tâche ? Implanter le programme que Gébé avait imaginé dans L’an 01 ? Rassembler autour de soi quelques élus du sérail, voire aller chercher conseils chez les édiles religieux ? Ou bien, tout simplement, gouverner par l’absurde ? De toute façon, ça ne pourra pas être pire que ce qui a été fait auparavant.
De la déconnade, oui, mais également une vraie réflexion. Les auteurs ont bien potassé leur sujet et, mine de rien, proposent une mini-étude sur les us et coutumes de la Cinquième République. À l’époque, Binet avait déjà fait un coup comparable avec son inénarrable Monsieur le Ministre. Dans le cas présent, la distance donne un petit cachet vintage à l’ouvrage. Par contre, il n’est pas certain que tous les clins d’œil et les innombrables références arrivent à toucher tous les lecteurs, particulièrement ceux qui ne maîtrisent pas les codes du paysage socio-culturel des années quatre-vingt. Cela dit, la lecture s’avère jouissive et, c’est la moindre des choses vu le personnage principal, hilarante.
Le trait tout en rondeur du dessinateur de Walter Appleduck accompagne avec efficacité et espièglerie ces élucubrations mêlant rigolade et questionnement politique. De leur côté, les couleurs acidulées de Sandrine Greff renforcent le côté « cartoon » et parodique de l’entreprise. Pas de doute, il ne s’agit pas d’une Histoire de l’Oncle Paul, l’exposé sort bel et bien de Fluide Glacial. Finalement, si une certaine nostalgie flotte sur ces pages, elle est avant tout au service du rire et c’est très bien comme ça.
Le célèbre humoriste Coluche a failli se présenter à l'élection présidentielle de 1981. C'était au début une simple plaisanterie qui est devenue un peu virale puisque les intentions de vote se sont affolés jusqu'à 16% dans les sondages. On sait que par la suite il y a eu d'énormes pressions pour qu'il renonce à se présenter et permettre ainsi à l'époque l'alternance politique avec un premier président socialiste sous la Vème République.
Pour autant, j'ai envie de dire que nous avons bien vu ce que cela a donné avec un autre humoriste notamment vedette de TV américaine de l'autre côté de l'Atlantique. Cela peut être dangereux. Or, cette bd nous présente une uchronie assez désopilante à savoir que Coluche devient effectivement président. Dans le star system actuel, rien ne serait plus impossible. Un illustre inconnu a d'ailleurs raflé la mise lors de la dernière élection dans notre pays.
C'est l'histoire d'un mec qui entre à l’Élysée et qui va très vite se heurter aux contraintes du pouvoir. Il aura beau décréter un apéro général, il y en aura toujours prêt à manifester à la manière des gilets jaunes pour contester un peu partout dans le pays. J'ai bien aimé car c'est rempli de petites anecdotes de l'époque comme quand on croyait que les chars russes allait défiler sur les Champs-Élysées.
On aura droit au fameux au-revoir ou à d'autres slogans politique comme projet contre projet. On reconnaît tout un vocabulaire employé à l'époque de ce changement de société. Coluche reste fidèle à lui-même en plongeant au coeur de l'âme française à savoir dans un bistrot.
Bref, il sera le premier à déchanter. Tout cela pour nous expliquer qu'occuper la première place au sommet de l'état n'est guère une chose facile surtout en tant de crise dans un pays de râleurs. C'est suffisamment enrobé dans la loufoquerie pour bien en rigoler.