C
e devait être un des plus beaux jours de leur vie. En accueillant leur second enfant, Camille et Bastien ne pensaient pas que leur existence allait chavirer dans l'angoisse perpétuelle. Atteint d'une grave malformation cardiaque congénitale, le nourrisson voit son cas et son avenir suspendus aux avis et aux conseils des médecins. Seule l'évolution de la maladie dans le temps conjuguée à l'affection et au soutien permanent du grand-père entretiennent l'espoir.
«Nous lui avons donné la vie, mais nous lui avons donné aussi ce handicap»
Sébastien Portet connu sous le diminutif d'«Espé», que le lecteur aura croisé auparavant sur les illustrations de Château Bordeaux et de la saga Le Territoire, brosse le portrait et le quotidien bouleversant d'une famille frappée de plein fouet par la lourde pathologie dont est victime leur nouveau-né et du combat de chaque instant qu'elle lui livre.
Le Col de Py est un témoignage indirect fort de parents totalement démunis et tributaires du corps soignant, souvent unis et exemplaires pour faire front, parfois en proie au désespoir. Conscients d'être dépassés par des événements qu'ils ne maîtrisent pas, leurs sentiments de culpabilité et de responsabilité décisionnelle sont également disséqués. Dans tous les cas, malgré une très grande souffrance psychologique légitime et quelques tensions, les proches de l'enfant n'abdiquent pas. S'agissant d'une situation dramatique qui échappe à tout contrôle, qu'elle ne peut épargner personne, le récit, authentique, captive, émeut et suscite la prise de conscience.
Autobiographique à peu de choses près, c'est aussi le salut d'un auteur au petit bonhomme qu'il à été, qui n'avait rien demandé à personne et qui s'est retrouvé, en quelque sorte, sévèrement «puni» par Dame Nature. Un poupon devenu, au fil des mois et des années, un petit garçon qui s'est battu à sa façon, et avec ses petits moyens contre la maladie et pour sa survie. Enfin et surtout, c'est un hommage fort envers son aïeul, lui-même souffrant d'un cancer, pour tout le soutien et la dose immense d'amour ressentie et partagée qui ont fait naître une complicité immortelle.
La simplicité du trait, sa courbure et sa fluidité, ainsi que les quelques judicieuses séquences accélérées et condensées sur la surface de certaines planches renforcent une histoire profonde et consistante, laquelle s'emploie à conserver malgré les faits douloureux, un ton qui se veut résolument optimiste.
Ne laissant personne insensible, Espé a mis tout son cœur à l'ouvrage, dont l'ordonnance délivre une indispensable piqûre de rappel : loin d'être un dû, la santé est et restera la plus précieuse des richesses.
Comment ne pas ressentir la souffrance de ces parents qui apprennent dès la naissance que leur enfant a un problème alors que jusqu'ici rien ne le prédisposait durant la grossesse ? Comment rester indifférent face à leur volonté de tout faire pour guérir leur enfant quand le pronostic vital est engagé ? Comment réagir face aux lourdeurs administratives de l'hôpital et à l'incrédulité voir à la bêtise des gens qui nous entourent ? C'est tout un difficile combat à mener pour les parents.
En tout cas, c'est l'expérience vécue par cet auteur de bd qui nous raconte de manière très humaine ce drame. Cela touchera surtout les parents qui ont vécu des misères analogues. Au bout du compte, on peut perdre ou gagner le combat contre la maladie. Il faut toujours se raccrocher à l'espoir.
Manque de chance pour Espé, il y aura également un autre membre de la famille touchée par la maladie qui va participer à sa manière à cette lutte pour la survie. On ne peut que laisser les larmes s'échapper devant tant d'injustices. Pour autant, cette bd authentique apportera beaucoup aux lecteurs sensibles au sujet.
C'est incontestablement une très belle bd empreint d'humanité et de délicatesse. Le col de Py sera à gravir avec des tonnes d'émotion.
« certaines histoires s’inventent, d’autres se racontent »
Derrière ce titre un peu énigmatique « le Col de Py » (qu’on ne comprendra qu’à l’épilogue) se cache un roman graphique autobiographique poignant publié par Bamboo dans la collection « Grand angle » . Sébastien Portet (dit Espé) raconte sous le masque transparent de Bastien Laporte la naissance de son deuxième enfant Louis et la découverte de sa malformation cardiaque. Sous-titré « Histoires de vie », cet album dresse aussi le portrait du grand-père courageux Pablo qui, malgré le cancer qui le ronge, viendra épauler le jeune couple et veiller sur son petit-fils tout au long du parcours du combattant qui sera mené pour le sauver.
On a ainsi une histoire de transmissions : transmission du père dessinateur à son fils puisqu’il immortalise l’odyssée qui fut la leur, mais également transmission entre une vie qui s’éteint et une autre qui peine à s’épanouir … Cette construction narrative qui met incessamment en parallèle les trois générations est très émouvante et transforme cette histoire de cœur malade en une histoire de cœurs aimants et en un vrai coup de cœur !
Il faut dire que la situation de l’auteur trouve de troublants échos dans celle que nous avons vécu à la naissance de notre fils cadet. L’album d'Espé, je l’ai donc adoré, compris, vécu… Ca a fait remonter des émotions enfouies et des choses qu’on avait voulu oublier : la bêtise des uns, la méchanceté des autres. Tant de choses sont magnifiquement et pudiquement rendues dans cette bande dessinée : la culpabilité, l’incompréhension, la révolte et toutes les émotions qui étreignent les parents … Les gens qui vous accusent d’être trop protecteurs voire complaisants ( !) car une grande partie de ce handicap ne se voit pas et qui se disent que c‘est faire bien des histoires pour pas grand-chose ; les décisions que le corps médical vous demande de prendre alors que vous ne comprenez rien à leur jargon ; le jargon médical (fidèlement retranscrit dans les bulles) que finalement vous adoptez vous-mêmes sans vous en rendre compte ; les multiples rendez-vous avec des spécialistes et les bilans sans fin ; la difficulté à gérer le quotidien ; les querelles de chapelle et d’egos de certains docteurs ; l’attente insupportable avant les opérations parce qu’on vous dit qu’il faut gagner du temps pour mettre toutes les chances de votre côté et que vous voyez pourtant quotidiennement que votre enfant souffre et puis enfin l’admirable dévouement de tous ces soignants …
« Le col de Py » ne peut laisser indifférent parce qu’il retrace, de façon fluide et linéaire, ce parcours vécu par Pablo, Bastien et sa femme Camille, le petit Louis sans oublier la grande sœur Chloé sans acrimonie et sans pathos. Pour ce faire, Espé crée une certaine mise à distance avec un trait semi-réaliste qui est presque caricatural parfois mais qui enveloppe également de beaucoup de tendresse les protagonistes dans les couleurs pastel d’Aretha Battutista et il prête aussi particulièrement attention à la retranscription des émotions dans grâce aux visages très expressifs de ses personnages.
L’autre récit autobiographique d’Espé, « « Le Perroquet », m’avait émue aux larmes ; là pour les raisons expliquées plus haut j’ai carrément sorti la boîte de Kleenex . Mais c’est un one shot qui touchera tout le monde . Espé est dans ses récits autobiographiques un véritable auteur complet. Son écriture toute en retenue est très élégante et l’on remarque, en outre, une grande inventivité graphique dans des pleines pages qui transcrivent dans des raccourcis surréalistes saisissant l’état d’esprit des parents quand tout vole littéralement en éclats ou présente des images sans textes consacrées aux petits moments de bonheur qui donnent une respiration au récit et aux lecteurs. Je salue son talent et le courage du petit Louis et je vous incite vraiment à lire cette bd qui nous rappelle le sens des priorités, raconte un magnifique histoire d’amour et de transmission et finit sur une belle leçon de vie et d’espoir …