À l'évocation d'Evita, la première image qui vient à l'esprit sera sans doute Madonna sur un balcon, implorant l'Argentine de ne pas pleurer pour elle. En Europe, elle représente un personnage historique mal connu, une icône populaire et tragique, épouse d'un président dont la principale qualité était d'être le mari de sa femme et fauchée bien trop tôt par la maladie.
Qui était-elle vraiment ?
Après le succès de leur biographie de Ernesto "Che" Guevara, Hector Oesterheld et Alberto Breccia envisagent de relater la vie d'autres personnalités politiques. Le nom d'Eva Perón-Duarte s'impose rapidement. Le scénariste réalise un tapuscrit non-dialogué que le dessinateur illustre. Le résultat est un livre plutôt austère, les planches se composant de pavés de textes surmontés de vignettes plutôt statiques. Si la patte de Breccia transparaît par moment, ce n'est pas le genre d'exercice dans lequel il se livre aux expérimentations graphiques qui le rendent si passionnant. Le livre connaîtra une première édition bon marché. Lorsque la junte militaire prend le pouvoir en 1973, la terreur s'installe. Militant de gauche, le scénariste et sa famille disparurent sans laisser de traces et Breccia survécut dans la terreur.
Pourquoi avoir décidé de mettre en lumière cette personnalité ? Au fil de la lecture, les auteurs dressent un portrait extrêmement flatteur de cette femme. Issue d'un milieu modeste, elle tente une carrière d'actrice avant de rencontrer Juan Peron, alors ministre en vue du gouvernement argentin. Ils tombent rapidement amoureux et se marient. L'ascension de Peron est irrésistible et il accède rapidement à la présidence. D'abord discrètement, Evita s'engage dans l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Elle devient l'égérie des "sans-chemise", se bat pour l'accès des femmes au droit de vote, multiplie les projets dans le domaine de la santé et de l'aide à l'enfance...
La succession des avancées réalisées sous son impulsion semble trop belle pour être réaliste. La description de l'attachement du peuple pour sa bienfaitrice évoquerait presque un récit de propagande. Pourtant, dans les faits, son action fut effectivement exceptionnelle. Tirant profit de l'économie faste, elle inspira une politique marquée par le progrès social, dont les effets se font encore sentir. Le livre se permet sans doute quelques libertés avec les faits. Il minimise le rôle de Juan Perón, qui n'est pas devenu progressiste au contact de son épouse. Bien avant de la rencontrer, il militait déjà en faveur du vote des femmes, pas exemple. Mais dans la mémoire collective, c'est le visage d'Evita qui s'est imposé.
Cette évocation se révèle très intéressante, même si elle verse parfois dans l'hagiographie. Eva Peron reste un personnage clivant. Adulée par certains, elle était haïe par d'autres. Ce qu'il advint de son corps après son décès est d'ailleurs édifiant. Par contre, un appareil critique aurait été le bienvenu. Une contextualisation historique et politique aurait permis de mieux comprendre la portée de son action et saisir le climat politique de l'époque. Ainsi, les liens avec l'Europe sont rapidement survolés, alors qu'il aurait été intéressant d'expliquer la position de l'Argentine pendant la guerre et sa politique d'accueil envers des criminels nazis.
Il n'est pas étonnant que cette biographie soit restée inédite en français jusqu'à ce jour. Evita Perón n'a pas chez nous l'aura qu'elle possède dans monde hispanique. de plus, le livre est dans l'ensemble assez classique, presque scolaire, surtout considérant la qualité des auteurs. Le texte d'Oesterheld est bien construit et documenté, mais ne s'embarrasse pas de figures de style. Quant au graphisme, il est purement illustratif, à quelques rares exceptions près. Son sujet demeure pourtant suffisamment fort pour retenir l'attention et le destin de son héroïne reste extraordinaire. Et lorsqu'elle se tient sur ce fameux balcon, même si elle ne se met pas à chanter Don't cry for me, Argentina, l'émotion est palpable.
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