L
es meilleurs blues ont été écrits avec des larmes de douleur à la place de l'encre, des gouttes de sueur ou, parfois, le sang de la rancœur. Aussi, quand Franck, son ex-manager, demande à Barry un nouveau titre imparable, c'est compliqué. Le musicien est devenu chauffeur de bus, s'est marié et a fait trois gamins, une vie tranquille, pépère donc ; il n'y a pas de quoi être inspiré non, il ne pourrait fournir que de la soupe populaire. Autrefois, il a fait danser les cœurs et swinguer les âmes oui. Mais avant, il caressait mélancoliquement sa guitare et surtout, il aimait Éléonor à la folie, à la mort. Attendez, ne serait-ce pas la fille qui a été retrouvée dans le fond du lac avec son amant ? Si…
Trois teintes : noir comme le polar, rouge comme la passion et bleuté comme un certain style musical, voilà le nuancier de Raùl Ariño. Pourtant, si l'histoire se révèle classique dans son contenu, l'auteur a créé une réelle ambiance et accordé une belle épaisseur à ses acteurs. Le portrait de son héros résonne comme la note bleue, il procure de la densité à l'œuvre, son originalité, sa dissonance également, car, il a ses failles, le compositeur maudit. Autour de lui, une gamme de personnages secondaires qui, loin de servir d'ornementation, possèdent de même leur tonalité propre et enrichissant l'ouvrage : la femme fatale, le producteur vénal, le pasteur parfait…
Le graphisme, quant à lui, pourrait être à l'image du jazz, un jazz faussement improvisé cependant. Difficile à décrire, car vraiment particulier et inattendu, il serait qualifié de désinvolte et caricatural, les proportions étant déformées afin de caractériser par leurs formes, plus que par les détails, les protagonistes (gros torse, petite tête, nez allongé, silhouette filiforme etc). La colorisation participe pleinement au charme crépusculaire et contrasté du récit, en aplats, par touches, en taches ou par coups de pinceau fiévreux. Le rendu final dégage une prestance et une identité certaines.
Aucun bémol dans la partition du Bluesman, ce mélange d'amour, de musique et de tragédie qui s'exprime à l'aide d'illustrations de caractère ne pouvant pas laisser sourd.
L'espagnol Raúl Ariño présente une histoire classique, tragique, sensible et visuellement impressionnante d'un petit chauffeur de bus qui cache un immense secret. Pourquoi cette nouvelle à la télé sur la découverte de corps disparus depuis 10 ans, crime passionnel dont l'auteur est bien identifié mais s'est évanoui dans la nature depuis tout ce temps, crée-t-elle de telles angoisses à Barry ? Ce meurtrier, ancienne star du blues dont on ignore le visage, peut-il avoir refait sa vie avec femme, enfants et dimanche à la messe ?
Graphiquement fascinant avec un traitement nerveux, faussement naïf mais au contraire extrêmement travaillé avec des techniques multiples, le récit est captivant et admirablement servi par la mise en image expressive.
Un des clichés du blues, musique intrinsèquement triste sur la souffrance et le mal de vivre, traité de manière totalement novatrice. Un bonheur.
Parfois, il m'arrive de détester un graphisme mais d'aimer quand même la bd en soi. Il faut dire que le scénario et le déroulé de ce récit m'ont convaincu.Je regrette peut-être une fin en happy-end mal expliquée et de circonstance. C'est comme un cheveu sur la soupe. Cela fait tâche.
Ceci dit, dans l'ensemble, j'ai passé un agréable moment de lecture alors que ce n'était pas gagné d'avance. Le dessin assez coloré m'a paru trop anguleux et imprécis au niveau des personnages. Cela fait très ligne à la George Gershwin pour ceux qui aurait vu le premier « Fantasia » de Disney dont une séquence lui rend hommage. Bref, c'est stylisé dans le décor !
C'est l'histoire d'un homme plutôt fort en corpulence qui a jadis été un grand jazzman mais il a commis un crime d'amour en voyant sa dulcinée embrasser un amant. Il a détruit des vies mais a refait la sienne. Cependant, le passé ressurgit toujours à un moment ou l'autre et il va falloir payer l'addition.
On va se rendre compte que les choses peuvent être un peu plus compliqué que cela. Bluesman est une véritable descente aux enfers pour rappeler que les difficultés dans la vie peuvent arriver très vite. Musique, amour, tragédie : tout un programme !
Au final, un polar musical à l'ambiance jazz assez réussi.