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as les bonnes fringues, pas la bonne musique, pas la bonne couleur de peau, l'arrivée d'Alice dans son nouveau lycée n'a rien de simple. Prise en grippe par quelques filles, tout changera pour elle lors de sa rencontre avec Nawel. Pour cette dernière aussi, cette amitié va être déterminante dans sa construction d'adulte. Ensemble, elles vont essayer de vivre leur rêve, quelles que soient les épreuves et les difficultés.
Après le remarqué Une Saison en Egypte, le primé La Guerre de Catherine et le très réussi Phoolan Devi, Claire Fauvel change encore de lieu et d'époque. Cette fois contemporaine, son histoire prend pour cadre la banlieue parisienne. Loin des clichés habituels et expurgée des maux constamment traités, elle se concentre sur des personnalités qui s'avèrent rapidement attachantes. Adolescentes en pleine rébellion, ses héroïnes sont en proie au doute, tombent amoureuses, cherchent leurs voies, se trompent et recommencent. Autour de Nawel, apprentie musicienne de dix-neuf ans aussi douée qu'elle est à fleur de peau, l'intrigue met en exergue une jeunesse éprise de liberté. Guidés par l'envie de vivre loin des carcans des traditions ou des contraintes de la société qui leur sont proposées et de la nécessité de s'émanciper du schéma grandes études-job qui paie-mariage-enfants, ces jeunes femmes désirent vivre leurs passions à fond. « Je n'en peux plus. Je veux plus, je ne sais pas quoi exactement. Je veux la vie entière ou rien. », ces phrases résument l'état d'esprit des personnages.
Les échanges, des dialogues qui sonnent juste aux interactions, cohérentes, donnent une belle crédibilité à la trame. Les incompréhensions, avec les parents comme entre amis, sont parfaitement retranscrites. Trahisons, échecs, petites et grandes joies, découvertes des interdits, espoirs et désillusions, toutes les étapes du passage à l'âge adulte jalonnent un parcours où la créativité et les remises en question servent de moteur. Si l'autrice fait parfois l'économie de la précision sur des visages ou un détail du décors, elle ne néglige ni la fluidité ni l'immersion. Sa narration s'appuie sur un découpage dense, ponctué de séquences à la mise en page variée. Le choc à l'écoute d'un morceau, l'effet brutal d'une critique, nombre de sentiments et de sensations qui frappent les protagonistes sont ainsi appuyés. Les scènes de nuit, élément central du cheminement de Nawel, ressortent également. Pas de grand effet, juste une colorisation, des angles et des cadrages bien choisis qui suffisent à ralentir le rythme, poser l'ambiance ou offrir une respiration.
Chronique sociale, histoires d'amour, hymne à la création, La Nuit est mon royaume est un peu tout cela à la fois. C'est aussi et surtout une étape de plus dans la carrière d'une artiste au talent flagrant. Et qui montre à chaque album une progression constante dans sa manière de raconter des récits simples et originales, pleines de force.
Même si a priori cela ne m’était pas destiné ( je l’avais chipé à mon fils) j’avais adoré l’adaptation du roman de Julia Billet « la guerre de Catherine » par Claire Fauvel. Je n’avais pas été la seule puisque l’ouvrage avait obtenu le fauve d’or jeunesse à Angoulême en 2018 ainsi que le prix Artemisia. J’attendais donc de découvrir avec impatience son nouvel opus pensant y trouver l’atmosphère de « l’Esquive » de Kechiche et une peinture passionnée à la Julie Maroh.
J’aurais aimé pour un récit qui s’annonçait épique que Rue de Sèvres choisisse un format plus grand. A la première lecture, les cases paraissent un peu compressées. Je suis aussi gênée par l’aspect très glacé du papier qui fait ressortir davantage le traitement numérique des cases et parasite les émotions. En revanche, j’apprécie tout de suite le découpage : la variation des formats de vignettes, le jeu sur les gouttières, le dynamisme ainsi insufflé et les respirations prodiguées par les pleines voire double pages. Je trouve très belles aussi les pages intérieures et leurs dégradés de bleu nuit (étoilée).
Pour moi, c’est le scénario où le bât blesse. Tout est trop prévisible. La « trahison » d’un des personnages est visible à des kilomètres. J’ai aussi une désagréable impression d’accumulation de clichés : on a la fille d’immigrés essayant de s’extraire de sa culture et de son milieu d‘origine et entrant en conflit avec ses parents traditionnalistes ; une amitié entre deux filles qui n’ont rien en commun à part leur barre d’immeuble et leur passion pour la musique ; la description d’un milieu musical que je connais guère (celui des labels indépendants parisiens et des festivals provinciaux ) mais qui ne me semble guère être nuancé.
C’est sans doute que je ne fais pas partie du cœur de cible ( un lectorat féminin ado ?) mais pourtant ça ne m’avait pas gênée pour la lecture de « La guerre de Catherine ». Tout me semble trop convenu ici y compris l’aspect qu’on devine plus personnel (la volonté de s’émanciper d’un destin tout tracé et du schéma grandes études-bon travail-mariage-enfants pour s’accomplir artistiquement).
Les décors sont moins travaillés que dans les albums d’avant (« Phoolan Devi » compris) et parfois les visages pâtissent aussi de ce traitement rapide. Mais la fougue qui manque dans les dialogues et l’intrigue on la trouve dans les dessins, les cadrages variés et une utilisation originale du lettrage qui lorsqu’il s’agit de textes musicaux devient enveloppant. J’ai bien aimé l’inventivité pour faire passer les émotions ressenties par Nawel lorsqu’elle se sent transpercée et mise à nue par la musique de Isak Olsen ( on a l’impression d’assister à une radiographie avec son squelette apparent) et la composition décloisonnée des double pages liées à la fondation du groupe ou aux concerts. J’ai trouvé superbes les pages nocturnes (y compris la balade à Paris) mais beaucoup trop criardes les pages diurnes au lycée et dans la cité.
On aurait pu avoir un beau récit d’initiation et de passage à l’âge adulte dans ce parcours où la créativité et la remise en question servent de moteur. Mais il me semble que c’est raté car les personnages sont trop caricaturaux. La seule chose qui me semble avoir été bien croquée c’est le statut précaire et épuisant des étudiants obligés d’avoir un travail d’appoint pour pouvoir étudier. Ceci est fait avec sobriété et subtilité. Les périodes de dépression de Nawel et sa cristallisation amoureuse sont aussi délicatement évoquées. Cela laisse entrevoir toutes les potentialités de l’artiste qu’est Claire Fauvel et creuse encore davantage le regret d’un album inabouti…
J'avais beaucoup aimé le travail de Claire Fauvel dans La guerre de Catherine et c'est donc avec beaucoup d'enthousiasme que je me suis plongée dans cette lecture.
Le scénario nous présente l'histoire de Nawel, une jeune fille qui a pour rêve de percer dans le monde de la musique. Tout au long de ce roman graphique, nous suivons donc ce personnage dans divers moments de sa jeune vie d'adulte. Nawel va vivre les montagnes russes sous nos yeux. Elle va passer d'un bonheur intense à une détresse sans pareille. Je me suis très vite prise à cette histoire. Le personnage de Nawel est très attachant et émouvant. Elle respire l'humanité. Malheureusement, sa recherche de succès dans la musique, va la faire se confronter à des personnes pas toujours bienveillantes avec elle. Nawel a la rage de vaincre et elle n'hésitera pas à tourner le dos à sa famille mais aussi à tout plaquer pour se consacrer à sa passion. Un choix audacieux et risqué dont les conséquences seront terribles. Cette BD nous dévoile également un petit de l'envers du décor du monde musical.
Vous l'aurez compris, j'ai juste adoré cette histoire et ce personnage. Mais, qu'en est-il de l'esthétique? Là aussi, Claire Fauvel fait un carton plein et me séduit totalement .Son trait délicat, et le visage de Nawel en particulier m'ont particulièrement séduite. J'ai également adoré les couleurs qui sont plutôt vives et tranchées mais qui collent parfaitement avec l'univers que nous présente Claire Fauvel. Le monde de la nuit est décliné dans de superbes nuances et c'est un vrai plaisir pour les yeux.
Bref, j'ai adoré La nuit est mon royaume, tant pour le scénario, pour la force de son personnage principal que pour son esprit esthétique.
Blog: https://aufildesplumesblog.wordpress.com/2021/03/01/la-nuit-est-mon-royaume/