Âgée de quelques heures, Louise est arrachée des bras de ses parents pour des « examens complémentaires ». Peu après, le verdict tombe. Son cœur est défaillant ; il faudra l’opérer. Une faille s’ouvre et tout s’emballe pour les géniteurs déboussolés, ballottés d’un spécialiste à l’autre. Puis, une question triviale jaillit de l’hébétude : « Combien çà va coûter ? ». D’après le médecin, la sécurité sociale devrait couvrir la plupart des frais. Ouf ! Heureusement qu’elle existe. Pourtant, cela n’avait rien d’évident et il aura fallu des années de lutte pour qu’elle existe. Ainsi que l’investissement d’un groupe d’hommes, attelé à sa conception, soixante-quinze ans plus tôt, en pleine Deuxième Guerre mondiale.
À l’heure où le « trou de la sécu », supposé béant, est régulièrement dénoncé et où certains acquis sociaux semblent en péril, les éditions Delcourt viennent de publier Un cœur en commun, un album au sous-titre évocateur La belge histoire de la sécurité sociale. Préfacé et postfacé par d’éminents universitaires, le titre entend raconter en bande dessinée comment a émergé l’idée d’une caisse de solidarité, accessible à tous et destinée à mettre fin à un système inégalitaire d’accès aux soins, comment elle fonctionne et ce qu’elle rend possible.
Pour ce faire, Harald a choisi une narration se déroulant sur trois époques, toutes également bien caractérisées graphiquement. Il y a d’abord, le fil rouge autour de Louise, ancré en ce début de XXIème siècle, et figurant les possibilités actuelles résultant du combat mené précédemment. Il véhicule une émotion tangible, car proche et authentique, l’angoisse des parents, leur incompréhension et leur perte de repères sonnant juste et étant palpables. Puis s’insère la trame concernant le projet de sécurité sociale, en 1944, alors que la Belgique est occupée par l’Allemagne nazie. Plus doctes, ces passages mettent en scène les instigateurs qui ont travaillé dessus, en soulignant leurs origines diverses et en expliquant les mécanismes permettant d’obtenir des soins de santé à moindre coût. Ici, l’auteur représente les personnages sous forme d’animaux anthropomorphes, ce qui tranche visuellement avec le reste. Enfin, la troisième période évoque un ouvrier du XIXe siècle, confronté à l’accouchement difficile de son épouse et ne pouvant pas payer le praticien venu à son chevet. Cette fois, l’accent est placé sur la solidarité collective et ces saynètes font écho au reste.
La navigation entre ces moments se révèle adroite et permet la progression du propos, sans le plomber, ni le rendre aride. Il est néanmoins tentant de sauter quelques explications afin de poursuivre les tribulations du bébé malade qui touche davantage. Par ailleurs, si le côté didactique fonctionne à plein, certains aspects paraissent un peu surfaits, quand bien même ils entendraient arracher un sourire. De plus, l'approche reste assez idéalisée par moments – tout semble… simple (ne serait-ce que pour faire adopter la loi) - et la « tournée de remerciements » finale possède un caractère un brin exagéré.
À défaut d'être pleinement captivant, Un cœur en commun - La belge histoire de la sécurité sociale constitue un ouvrage instructif. En cela, il mérite plus qu'un coup d’œil.
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