L
a studieuse Misuzu, 24 ans, est enseignante. Elle aime profondément son métier, pourtant elle dénigre la jeunesse. En ce qui la concerne, elle a toujours été très sage. Elle refuse par conséquent de comprendre le jeu des émotions qui, à l’adolescence, vacillent en un instant de l’euphorie à la crise de nerfs. De simples effets de manches qui provoquent l’esquisse d’un sourire narquois sur son joli minois. Un jour, à l’occasion d’un repas au restaurant, elle apprend que son amie d’enfance, Minako, va se marier. Son monde s’effondre. Sa pensée file, ses sentiments oscillent de la joie à la peine. À son tour, elle se retrouve victime d’une intense instabilité. Mais, quelles en sont les raisons ?
La mangaka, Akane Torikai, connaît un véritable succès au Japon. Sa série Jigoku no Girlfriend vient d’être adaptée au petit écran. Cette réussite, elle la doit à son talent de conteuse dont les histoires contemporaines examinent la société patriarcale nippone, et accusent le poids des traditions et la mondialisation qui font la part belle à la gent masculine au détriment, bien entendu, des femmes.
La maison d’édition Akata procède à la première traduction de l’artiste, en France, en proposant sur le marché national, En proie au silence. Une saga dense, de huit tomes, publiée au Pays du Soleil levant, de 2013 à 2017, au sein du magazine Morning Two. Construit en miroir autour de deux protagonistes de sexe opposé évoluant à l’intérieur d’un cercle commun (une institution scolaire), ce manga est la troisième production d’une auteure qui poursuit son exploration de la condition féminine. Adoptant une vision différenciée et accordée à leur statut social, ces héros pâtissent d’une piètre notoriété et s’enferment dans le mutisme. Au tableau, la pédagogue essuie les remarques de ses collègues misogynes et le regard inquisiteur des jeunes bimbos. De l’autre côté du bureau, le gamin mal dans sa peau est sujet aux railleries de ses camarades et à ses pulsions honteuses. Les arcs narratifs respectifs se succèdent jusqu’à un point culminant caractérisée par une rencontre entre le jeune homme persécuté et la professeure se retrouvant en situation de supériorité. Rôle qui lui sied difficilement, puisqu’elle critique vertement les dominations de fait et qu’elle aimerait avoir la force d’affronter le sexisme ambiant.
Côté graphisme, la dessinatrice livre des planches claires dont la ligne fine est timidement rehaussée de quelques ombres grises. Elle adopte un style réaliste, où les fonds de cases sont plutôt fournis et, surtout, davantage encrées. L’illustratrice reste pudique. Sa caméra est subtilement placée afin d’éviter de verser dans le voyeurisme, alors même que le propos s’y prête ! Sa narration nécessite donc plus de préparation. L’enchaînement des séquences est mesuré, sans être lent, et l’effet généré demeure percutant. En somme, les plans épousent la dualité de l’héroïne, à la fois intriguée et gênée par les « rapports ».
En proie au silence est un récit intimiste réservé, selon la formule consacrée, à un public averti. Néanmoins sa lecture témoigne de la violence psychologique que peuvent subir des individus et œuvre ainsi intelligemment pour l’égalité des genres. À conseiller, évidemment !
Avis portant sur la série:
En proie au silence laisse sans voix, c'est le cas de le dire ! L'auteure nous livre le comportement des victimes face au viol dans une société de plus en plus machiste. Cela ne vous rappelle rien ? Le sujet de la condition féminine est malheureusement toujours d'actualité et même dans notre pays.
Évidemment, c'est une œuvre choc qui dénonce le sexisme ainsi que les agressions sexuelles. Cependant, la loi du silence règne et c'est encore plus difficile pour les victimes.
Fort heureusement, on va éviter l’œuvre purement féministe pour rester dans le contenu propre à la société japonaise. Cela donne encore plus de puissance. Le visuel est réaliste et froid à l'image de l’œuvre.
L'auteure a choisi le lycée comme théâtre d'action car il est vrai que les premières rencontres amoureuses ne se font pas dans le monde de l'entreprise mais plutôt en milieu scolaire.
J'ai eu beaucoup de peine pour ces personnages bouleversés. Notre héroïne est une professeure qui se détache énormément comme pour se protéger. On va comprendre ce qu'il lui est arrivé pour qu'elle en devienne un peu cynique et désabusée. Elle va avoir une relation assez intéressante avec un de ses élèves, également très solitaire et qui cache de lourds secrets.
C'est une lecture profondément déstabilisante mais qui pousse à une réflexion salutaire sur une société qui semble corrompre les esprits.