Couleurs de l'incendie s’inscrit dans la continuité du prix Goncourt 2013, Au revoir là-haut, qui a déjà fait l’objet d’une adaptation dessinée par Christian de Metter en 2015, sans évoquer le film d’Albert Dupontel. De plus, il paraît alors que sort Miroir de nos peines, dernier volet de la trilogie de Pierre Lemaitre. Difficile, dès lors, de parler de l’album pour lui-même, sans l’inscrire dans un ensemble plus vaste !
Au lendemain de la Grande Guerre, Madeleine se retrouve légataire d’une fortune qui fait la convoitise de ses proches. Aveuglée par l’accident de son fils, elle finira ruinée et n’aura de cesse de faire tomber ceux qui ont œuvré à sa chute.
Prenant comme fil narratif une voix off qui ponctue les diverses étapes du récit, Couleurs de l’Incendie fait référence, de manière romancée, à des événements pas si lointains, mais dont, de nos jours, bien peu se souviennent. Toutefois, les turpitudes humaines semblent devoir conserver, quelles que soient la latitude ou l’époque, une constance universelle et ce qui vaut aujourd’hui prévalait déjà hier. La bande dessinée possède ses codes et il est parfois difficile de rendre compte de la multiplicité des rapport humains comme peut se le permettre la littérature. Dans le cas d’espèce, sur plus de cent soixante-dix planches, Pierre Lemaitre a toutefois le loisir de développer la personnalité de ses nombreux personnages et de multiplier les séquences au détriment, peut-être, de la complexité de la vengeance de Madeleine, ou du moins, de sa mise en œuvre ! En écho, le trait de Christian de Metter excelle dans cette ambiance d’Entre-deux Guerres en donnant aux protagonistes une vrai carnation et en baignant le tout d’une lumière terme et en demi-teinte, illustration des jours sombres… présents et à venir.
Couleurs de l'incendie est de ces albums qui valent par l’immersion cinématographique à laquelle ils invitent leur lectorat, tout en respectant le contexte historique au sein duquel ils sont censés se dérouler. Une façon de ne pas réécrire l'Histoire !
Très belle lecture, maîtrisée de bout en bout cette adaptation nous capte et ne nous lâche plus jusqu'au final.
Pourtant ce n'était pas un travail facile, le foisonnement de personnages et la complexité de l'intrigue conduisait à un bel exercice d'équilibrisme.
Christian DE METTER s'en acquitte avec le même brio dont il avait fait preuve avec "Au revoir là-haut".
Du très bel ouvrage.
J'adore ces histoires de vengeance, je ne sais pourquoi. On va suivre la famille de banquier Péricourt dans le Paris d'avant la crise de 1929 et notamment une femme qui sera éprise par un sentiment de justice en employant les grands moyens. En effet, Madeleine doit reprendre la direction de la banque familiale alors qu'elle ne possède aucune compétence dans ce domaine. Elle sera fortement abusée de part et d'autre..
Les couleurs de l'incendie sont d'abord un roman paru seulement en 2018 de Pierre Lemaître connu pour avoir eu le prix Goncourt en 2013 avec « Au-revoir là-haut ». Christian de Metter réussit là une très belle adaptation comme à son habitude. A noter que le roman a eu également droit à une version cinématographique en 2021 avec Clovis Cornillac.
Il est question d'une femme Madeleine qui doivent lutter pour son émancipation dans une société principalement dominée par la gent masculine dans une Europe plongée dans la montée des totalitarismes.
On sent également une influence liée au Comte de Monte Cristo. Comme dit, ce n'est pas pour me déplaire même si c'est du déjà-vu. C'est beau et c'est soigné au niveau de l'écriture et des scènes qui s’enchaînent admirablement bien. On ne perd pas une miette tant c'est passionnant de bout en bout.
Bref, nous avons là un one-shot inoubliable qui ne manque pas de densité.
Gustave Péricourt, le banquier et ami du Président de la République quitte pour la dernière fois son domicile… En corbillard !
Sa fille Madeleine est là. Après la perte de son frère due à la Grande Guerre, le divorce d’avec son mari, escroc notoire, là voilà seule avec son fils.
Elle est bonne à marier et Gustave Joubert, le fondé de pouvoirs de la banque Péricourt serait le parti idéal… Mais après avoir fait mine d’accepter ces épousailles, elle a refusé.
Le cortège funèbre est prêt à partir… Qu’attend-on ? Il manque le petit-fils, Paul ! … Mais que fait-il sur le bord de cette fenêtre ? … Mon Dieu… Paul…
Critique :
Adapter un roman de Pierre Lemaitre est un risque qu’a accepté de prendre Christian De Metter. Il assume tout : scénario, dessin, couleurs…
Mais revenons un instant à cette histoire qui a déjà connu un succès retentissant en librairie sous forme de roman. Imaginez une femme de l’entre-deux-guerres ! Son éducation ne la destinait pas à devenir une femme d’affaires. Quand on est le seul enfant en vie d’un banquier, s’y connaître en matière de finances, cela pourrait aider au cas où le paternel viendrait à migrer vers des cieux d’où, en général, on ne revient plus. Vous l’avez compris, le père trépassé, la fille n’est pas de taille à gérer l’immense fortune… Heureusement, elle peut compter sur son fidèle Joubert, l’homme de confiance de son père. Surtout qu’avec son fils entre la vie et la mort, elle a de quoi s’occuper. Et puis, elle peut aussi s’appuyer sur Léonie, sa charmante dame de compagnie. N’oublions pas la famille : tonton Péricourt, le député bien connu, est là avec sa charmante épouse et ses deux séduisantes jumelles pour lesquelles il ne désespère pas de trouver un beau parti. Et puis, il reste le précepteur de son fils Paul, un homme de grand talent, André Delcourt, qui rêve de devenir journaliste…
Ouf ! Tout est bien qui finit bien ! … Comment ? … Le feel good, ce n’est pas le genre de Pierre Lemaitre ? … Vous voulez dire que… Oh ! Ciel ! Quelle injustice ! Mais c’est infâme ! Je ne puis en dire plus ! Je suis chokéï ! Je suis chokéï !
Alors ? Pari réussi pour Christian De Metter ? Beaucoup y trouveront à redire, car en matière d’art les goûts et les couleurs… Je trouve qu’il ne dénature pas du tout l’ouvrage de Pierre Lemaitre quant au scénario… Son trait est très marqué, ce qui rend les personnages facilement identifiables, tout en gardant un côté réaliste. Quant aux couleurs sombres, c’est un choix artistique qui ne plaira pas à tout le monde alors que d’autres le trouveront en parfaite concordance avec le côté très noir de cette histoire.
Si vous n’avez pas le courage d’affronter les centaines de pages du roman original, ce roman graphique vous en narrera l’essentiel. Idéalement, lisez les deux… En commençant par le roman et en gardant la BD pour le dessert.
Ça fait longtemps que je ne vous ai pas parlé de Christian De Metter… Voici donc sa deuxième adaptation des romans de Pierre Lemaître après « Au revoir là-haut » et avant « Miroir de nos peines ».
Je n’ai pas lu les romans en question, je prends donc cet album pour ce qu’il est : une fresque romanesque, une machine mettant en route la vengeance d’une femme, savamment orchestrée par Lemaître et brillamment rendue vivante par De Metter !
L’ambiance est sombre, le climat historique tendu en toile de fond, les personnages sont très expressifs, le style De Metter est bien là et je prends toujours un plaisir fou à m’y plonger !
Que vous connaissiez les romans ou pas, que vous ayez lu « Au revoir là-haut ou non, plongez vous dans ces « couleurs de l’incendie » avec Madeleine, une femme forte qu’on n’oublie pas !
Que dire de plus, indispensable, du début à la fin, histoire haletante, De Metter n'a pas fini de m'enchanter.
Deux albums à se procurer au plus vite.
Vivement le troisième opus.
Bravo Pierre et Christian
Une très belle adaptation du roman de Pierre Lemaitre, qui se plie nécessairement aux contraintes et aux codes de la BD, mais qui arrive à restituer l'époque et les personnages, au prix de quelques choix. Intrigue un peu simplifiée, quelques personnages relégués au second plan, c'est normal, le livre d'origine était un gros pavé. Et une réussite graphique absolue, un dessin splendide, et une mise en couleur sobre, dans les sépias, couleur idéale pour une époque si inquiétante. Et quelques rares taches de couleur pour rehausser le tout, les trois premières cases de la page 120 justifient à elles seules le titre du livre et de l'album. Une très belle réussite que cette adaptation, la deuxième après celle d'Au revoir là-haut.
Après avoir écrit un chef d’œuvre comme au revoir là-haut, il devient compliqué d’en aligner un deuxième immédiatement après. Cette suite au rythme moins soutenu est pourtant de qualité même si j’aurais préféré suivre les pérégrinations d’Albert Maillard plutôt que les mésaventures de Madeleine Péricourt. Mais tel a été le choix de l’auteur qui, après tout, tel un capitaine, est seul maître à bord.
Les coups bas sont légions et Madeleine va l’apprendre à ses dépens. Pourtant, celle-ci va construire petit à petit sa revanche et ses vengeances. Le sel et le piment de l’histoire tiennent d’ailleurs à ces « retours de kick ». Madeleine, intransigeante, fera payer à tous les rapaces et vautours convoitant sa fortune.
L’ensemble est toujours bien mis en valeur par Christian De Metter qui a su tirer le meilleur des 550 pages du roman.
La mère était en noir
Paris, 1927, divorcée d’Aulnay Pradelle qui croupit en prison suite à ses trafics dans les cimetières militaires, Madeleine Péricourt lassée des hommes a refusé d’épouser en secondes noces le fondé de pouvoir de la banque familiale, Joubert. Quand son père meurt et que son fils unique de sept ans, Paul, se défenestre et reste paralysé, Madeleine sombre dans la neurasthénie et se désintéresse de la gestion de son empire bancaire. C’est le moment que choisit Joubert pour attaquer …
Si Pierre Lemaître avait participé à l’adaptation en bande dessinée de son roman « Au revoir là-haut » au côté de Christian de Metter, il a laissé cette fois le dessinateur-scénariste seul aux commandes puisqu’il était occupé à finir le troisième volet de sa trilogie (« Miroir de nos peines » paru le 2/01/20) et se consacrait en parallèle à l’adaptation cinématographique de ce second volet.
On retrouve d’emblée, une parenté entre cet album et le précédent puisque le « saut de l’ange » du petit Paul en pleine page à la p.4 rappelle la magnifique couverture d’ « Au revoir là-haut ». Cette pleine page du deuxième opus donne le ton choisi par de Metter également : quand on avait dans le roman un véritable morceau de bravoure, une description qui s’étendait sur 30 pages un peu grandguignolesque (le corps du petit garçon rebondissait sur le catafalque funéraire avant de s’écraser sur le cercueil), ici tout est traité en ellipse et en sobriété. Pour passer du roman foisonnant de 530 pages à un « one shot » de 160 p, l’auteur a en effet choisi de resserrer l’action, de ne pas développer certains caractères comiques (Vladi et Robert Ferrand par exemple) et de ne pas multiplier les interventions d’un narrateur-bateleur comme dans l’œuvre source. L’album devient plus noir et se concentre sur de très beaux portraits de femmes, la trame de la vengeance et la chronique des années 30.
Une affaire de femmes
Le sujet principal de « couleurs de l’incendie » c’est Madeleine Péricourt, personnage très secondaire d’ « Au revoir là-haut », qui prend l’envergure d’une grande héroïne comme l’indique la superbe couverture sur laquelle elle occupe les deux tiers de l’espace. Elle nous y dévisage, nous toise même, avec une expression énigmatique : à la fois moqueuse et mystérieuse ; elle se présente à la fois comme une sphinge et une Joconde moderne. Après le roman et l’album qui racontaient une histoire d’hommes, voici venu celui consacré aux femmes.
En effet, la bande dessinée de De Metter donne beaucoup moins d’importance au Paul adolescent de la deuxième partie du roman par exemple et met au premier plan Madeleine, Léonce, Solange Gallinato et même un personnage a priori anecdotique et qui devient crucial ici : Hortense Péricourt.
Ce sont les femmes qui amènent de la couleur dans cet univers sombre : les seules pages à bénéficier de lumière sont celles dévolues aux héroïnes et dotées de couleurs pastels bleu, rose et jaune d’or. De Metter en fait des personnages bien plus complexes que les protagonistes masculins. Ainsi, Solange Gallinato malgré son aspect comique de Castafiore (aux traits proches de ceux de Rastapopoulos !) s’avère être une vraie héroïne qui brave le Reich et son führer ; Léonce et Madeleine entretiennent une relation presque amoureuse que souligne un montage parallèle dans lequel on voit d’une part Solange interpréter un air dans lequel l’abandonnée se plaint de la trahison de son amant et d’autre part Madeleine comprendre la machination de Joubert et découvrir que sa fidèle gouvernante était de mèche. Avec le dernier plan du passage on perçoit que le chant d’amour (« je vous ai tant aimée pourquoi vous haïrais-je ?) s’adresse à l’amie … Les héroïnes sont donc moins lisses qu’on pourrait le penser.
A travers ces figures féminines, l’auteur évoque le sort des femmes des années 1930 qui, malgré ce qu’elles avaient fait durant la grande guerre en assurant le rôle des hommes, demeuraient d’éternelles mineures et passaient de la tutelle d’un père à celle de leur mari. Il souligne comment certaines s’affranchissaient de cela grâce à leur art (Solange), leurs charmes (Léonce) ou en décidant de ne plus être de simples femmes objet en agissant (Madeleine mais aussi Hortense).
Une vengeance à la Monte Cristo
Lemaître l’indiquait lui-même dans ses notes finales, il avait voulu rendre dans ce roman un hommage à Dumas. De Metter reprend également ce thème de la vengeance. Le tournant de l’album est fort bien marqué par l’épisode central (dans tous sens du terme) du long flashback en noir et blanc avec juxtaposition de scènes présentées par ordre chronologiques en pleine pages qui s’affranchissent du gaufrier comme pour évoquer le débit précipité de l’aveu longuement tu du petit Paul.
A partir de ce moment, Madeleine se transforme en louve et va se venger de ceux qui leur ont fait du tort en élaborant une machination. On notera d’ailleurs le rôle symbolique de sa confrontation avec Léonce dans son ancien hôtel particulier : elle sont dans le hall qui est pavé en noir et blanc et ressemble à un échiquier. Madeleine va petit à petit avancer ses pions et gagner la partie. Pour souligner ce côté méthodique et implacable, de Metter multiplie les parallélismes de situation et les répliques en écho : ainsi le baiser de Judas que Léonce lui avait donné en première partie est présent de façon symétrique dans la deuxième partie de l’album mais cette fois c’est Madeleine qui embrasse ; la phrase moqueuse « la roue tourne » prononcée par l’une des nièces Péricourt se retrouve dans la bouche de Madeleine au moment du procès et à chaque fois qu’un de ceux qui ont œuvré à sa perte est châtié, elle apparait fugacement telle Edmond Dantès pour lui signifier qu’elle est à l‘origine de sa ruine…
Chronique des années 30
Mais ce roman d’aventures est aussi une chronique des années 30. Le livre était extrêmement documenté, l’album l’est aussi. A la manière d’un Zola dans «L ’Argent », Lemaître et De Metter dépeignent grâce aux personnages de Charles Péricourt et de Joubert les magouilles financières des députés, les délits d’initiés et la spéculation. Dans l’album tout se négocie de façon feutrée dans des dîners. On y perçoit également la montée du nationalisme lors des diverses assemblées ainsi que l’accueil favorable fait à Hitler par des entrepreneurs français qui vont jusqu’à arborer sa célèbre moustache ! De Metter souligne aussi un certain retour hypocrite de l’époque vers l’ordre moral avec le personnage de Delcourt devenu la coqueluche des soirées depuis qu’il a écrit un article contre l’avortement ainsi qu’avec le chantage dont est victime Hortense.
Ce climat particulièrement délétère est bien symbolisé par les camaïeus de bruns qui composent l’essentiel de la couleur des pages. On a vraiment l’impression d’y voir « les couleurs de l’incendie », c’est-à-dire l’extension de la tragédie brune… De Metter inclut dans sa bande dessinée des extraits de journaux de l’époque qui relatent le boycottage des magasins juifs et montre par la retranscription in extenso de la lettre que le petit Paul adresse à son idole qu’ un enfant de douze ans, est finalement bien plus clairvoyant que la plupart des adultes de son entourage. Il nous emmène également à Berlin où le décorum nazi fonctionne déjà à plein et consacre un long passage au récital de Solange afin de souligner comment les artistes furent parfois les premiers à entrer en résistance et à éveiller les consciences ( Solange provoque ainsi la révolte du chef d’orchestre allemand qui l’accompagne).
Loin d’être anecdotique, cette adaptation tient donc toutes ses promesses …