C
oincée entre deux lacs, Tampere doit beaucoup à sa situation géographique singulière qui lui a permis de devenir un centre industriel important dès le 19ème siècle. Au fil des décennies, elle a grandi, s’est étendue, de nouveaux faubourgs apparaissant, sans pour autant qu’elle ne perde son identité. Car la ville finlandaise a pu également compter sur le courage et la volonté de ses habitants qui, aujourd’hui encore, la défendent en s’engageant pour sauver son cœur historique. C’est le cas de Tiitu, la dessinatrice, et de son compagnon Mikko qui, avec d’autres, se sont donné à fond pour préserver leur quartier d’Annikki aux maisons tellement typiques.
Fortement inspiré par le vécu de son autrice, l’album donne le ton dès la couverture. Armé d’un pinceau, d’un pot de peinture et d’un marteau, un couple s’y détache sur un fond juxtaposant une bâtisse ancienne et un immeuble en béton. Le contraste entre le rouge flamboyant porté par la femme et le reste aux tons plus neutres, sinon fades, annonce également la couleur : celle de la vie, du pimpant et du renouveau, mais aussi de l’enthousiasme, bien décidés à remporter le combat.
Dans Moi, Nikko et Annikki, qui a reçu le prix Finlandia de la bande dessinée, Tiitu Takalo raconte à la fois une ville, un arrondissement spécifique de celle-ci, mais aussi la relation des riverains de Tampere avec leur cité. Elle y glisse sa propre histoire avec Mikko, leur recherche d’un foyer, leurs joies ou petites déconvenues, leurs rencontres, ainsi que la solidarité qui opère pour préserver le patrimoine local. Cela s’inscrit dans une réflexion pertinente sur certaines problématiques liées à l’environnement et au développement durable, vécues aussi bien à l’échelle de la ville tout entière – pourquoi démolir des habitations quand il est possible de les rénover ? – que personnelle – Tiitu ne cesse de récupérer de vieux objets qu’elle recycle dans la mesure du possible. Point de moralisation cependant, car quelques touches d’humour viennent agrémenter le propos. La construction narrative se révèle habile : elle alterne les séquences historiques évoquant la naissance du lieu, l’évolution de son urbanisme, l’impact de l’industrie, des guerres et des aléas géostratégiques, avec les différentes étapes de l’installation de l’artiste et de son amoureux dans le quartier. Là où les premières sont factuelles, les secondes apportent un côté concret et intimiste, ce qui permet à l’ensemble de fonctionner parfaitement et de toucher le lecteur.
Sous leur format carré, les planches réservent également une belle surprise. La plupart sont découpées en quatre cases aux dimensions identiques, mais parfois en deux ou même jusqu’en neuf vignettes, toutes sagement alignées. Toutefois, ce choix est adroitement contrebalancé par la diversité du style graphique, ainsi que celle de la couleur de fond du papier et de la colorisation à l’aquarelle. Ainsi, les parties concernant la vie de Tiitu et Mikko se déclinent sur des feuilles blanches et se parent de teintes souvent plus vives. En parallèle, tout ce qui met en scène l’histoire de Tampere est dessiné sur du brun, du gris, de l’ocre, le coup de crayon s’accompagnant de nuances en camaïeu et étant rehaussé de blanc. Généralement, le trait de l’artiste est semi-réaliste et expressif, toutefois, certains passages évoquant des événements très officiels sont déclinés sous le mode d’illustrations aux accents médiévaux, qui, là encore, s’intègrent bien au reste.
Fresque urbaine aussi étonnante qu’intéressante, Moi, Mikko et Annikki s’avère un vrai petit bijou venu du Grand Nord. À découvrir.
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