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u début des années 1930, André Breton sent que le surréalisme s’étiole. Il est convaincu que quelque chose lui a été volé, mais quoi ? Pour comprendre, il confie l’enquête à Nick Carter, un héros de polars américains. Le limier se penche sur la question en rencontrant les principales figures du groupe, de Nadja à Philippe Soupault et passant par Max Ernst et Louis Aragon. La recherche est toutefois rendue difficile par les interventions de ses ennemis, dont le terrible Docteur Quartz. À travers cette fable aux allures de feuilleton rocambolesque, David B. propose un véritable cours sur le courant artistique, ses grands principes, ses acteurs et leurs différends. Il réhabilite au passage la mémoire d’intervenants moins connus, par exemple Yves Tanguy, et en écorche d’autres, notamment Salvador Dali.
La démarche de l’auteur de L’Ascension du haut mal est singulière. L’ouvrage est composé de cinquante illustrations sous lesquelles apparaissent deux ou trois lignes de texte livré au « je » par un typique narrateur de romans policiers. Le rédactionnel est réduit ? Oui, certes, mais ce n’est pas si simple, car les images sont au cœur de l'anecdote.
Le coup de pinceau demeure reconnaissable entre tous. Des motifs complexes à saveur ésotérique et onirique, avec des influences précolombiennes et asiatiques. Dans Nick Carter et André Breton, la planche n’est pas découpée en bandes et en cases, il revient donc au lecteur de scruter le dessin composé de dizaines d’éléments, souvent disparates, pour en apprécier la teneur. Le jeu est plus tortueux qu’il n’y paraît. Et pour cause, puisque le récit fait autant référence aux potins de l’époque qu’à l’histoire de l’art et à la littérature populaire. La réalité et la fiction ont de plus tendance à s’entremêler dans ce monde où un personnage imaginaire peut assassiner René Crevel, lequel est pourtant réel.
Un fondateur de L’Association publié chez Soleil, voilà qui est presque surréaliste. L’éditeur a cependant bien fait les choses avec un album à l’italienne aux couvertures toilées qu’il est impossible de confondre avec Les Blondes et autres Lanfeust de Troy. De fait, le livre appartient à la collection Noctambule qui est représentée par une lune. L’astre du jour est ainsi élégamment remplacé par celui de la nuit.
Un projet fascinant dans lequel l’auteur a su s’approprier le fond et la forme du surréalisme, sans oublier sa petite histoire marquée par les turbulences. Certains seront d’ailleurs tentés de tracer un parallèle avec les tensions qui ont longtemps déchiré la maison d’édition fondée par Jean-Christophe Menu et une poignée de bédéistes, dont David B.
"J'aime cette idée de la fausse érudition qui cache une érudition réelle. À quoi bon l'érudition, si ce n'est pour en jouer ?" dit David B. à Thierry Groensteen dans une interview que vous pouvez retrouver sur http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article231.
Et jouer c'est précisément ce que fait David B. dans ce livre fantastique ou il mélange histoire d'art, biographies, rêves, intrigues détective, ... .
En exemple on pourrait citer la planche 11, avec comme titre "les objets perdus" , alors que les surréalistes jurent par les "objets trouvés". Au premier plan, on voit le détective Nick Carter à la recherche du surréalisme qu'André Breton aurait perdu, en poursuivant des femmes dans les rues de Paris ?. En arrière plan on voit un cabinet de raretés remplit de morceaux de femme ... . Génial!