D
ans un avenir éloigné, un peuple vit sous terre, à l’abri d’un virus qui a ravagé la surface. Dans ces souterrains, humains et robots cohabitent en harmonie. Par exemple, Melville, dont l’âme a été transférée dans une cafetière intelligente, coule des jours heureux en vendant sa boisson aux passants. Sa vie conjugale est tout de même un peu compliquée. Le barista a l’esprit chevaleresque et il n’hésite pas à venir en aide à Nathanaëlle, une jeune femme pourchassée par les forces d’un régime autocratique. Pourquoi diable les dirigeants font-ils usage d’une telle brutalité ? Est-il possible qu’ils mentent à la populace ?
Le scénario de Charles Berberian a un air de déjà vu, la conclusion s’avère d’ailleurs assez prévisible. Cela dit, ce n’est pas si important. En fait, c’est le monde qu’il a créé qui fascine le lecteur. Le scénariste met en scène une civilisation qu’il établit dans un futur lointain aux allures de XIXe siècle, là où les androïdes côtoient des hommes arborant la moustache cirée et des dames enserrées dans des corsets. Les technologies et les modes peuvent se narguer, tout demeure parfaitement cohérent dans la cité imaginée par l’ex-compère de Philippe Dupuy. Un petit bémol, l’auteur est par moments bavard et les phylactères prennent trop leurs aises.
Le coup de pinceau de Fred Baltran s’impose comme l’élément le plus impressionnant de cette bande dessinée. Son travail, qui semble être réalisé à la tablette graphique, sert très bien le propos qui a pour cadre un univers factice. Les planches se suivent et ne se ressemblent pas, la forme et le volume des vignettes sont en effet chaque fois réfléchis pour donner le maximum d’impact à la séquence. Dans les segments les plus calmes, les cases tendent à être sagement carrées et bordées de blanc. Lorsque l’action s’accélère, les illustrations sont surchargées et posées sur un fond sombre. Se dégage alors une forte oppression. Dans l’ensemble, il faut féliciter le dessinateur pour son souci du détail qui se retrouve dans chacun des dessins.
Quitte à mettre en place une telle société, pourquoi ne pas la revisiter en offrant une suite à cet album ?
On reste sur sa faim. Les flash-backs et les aller-retour compliquent le début de l'intrigue qui part malgré tout sur de très bonnes bases. C'est touffu et du coup, certaines pistes ne seront pas suffisamment approfondies. Mais ça se termine trop vite, le dénouement est expédié. Dommage, l'univers créé méritait sans doute un récit plus long.
Le trait précis et les couleurs sublimes de Fred Beltran, une trame de scénario de science-fiction classique sans être éculée, un traitement original où l'humour flirte avec des images de civilisation déglinguée: j'ai adoré cet album. Le seul reproche que je pourrais y trouver n'en est pas un: présenté comme un "one shot", il m'apparaît plutôt comme une excellente mise en jambe, un premier tome parfait d'une série que l'on souhaiterait la plus longue possible. L'univers a été créé et mérite d'être développé tant il recèle de potentiel, les personnages sont posés mais leur passé comme leur avenir restent parcellaires. Bref, on en veut plus! Un album indispensable, comme la plupart des (beaucoup trop rares) albums dessinés par Fred Beltran.
Cet album présente un dessin des plus exquis, propre, apuré et original mais avec néanmoins certaines corrélations avec d'autres œuvres, des couleurs agréables, un rapprochement étrange et sensible du magnifique Incal (avant l'Incal) et les aventures de John Difool et 80,5 planches oui vous avez bien lu 80.5 planches pour un prix très raisonnable (souvenir garanti). L'album est magnifique avec une superbe jaquette dont le verso est également une réussite absolue. Le cahier de recherche est aussi très beau.
L'histoire ressemble un peu à la Vérité Avant-Dernière de Philip K. Dick sauf qu'à la surface ce sont des robots qui font la guerre et non des nantis qui mentent aux classes inférieures. Le réchauffement insupportable de la planète est assez récurrent chez Dick. La bd présente une étrange influence de Jodorowski toujours selon mon opinion.
Il reste beaucoup de questions et d'incertitudes sur l'histoire : l'absence, la disparition ou l'inexistence de Nathanaëlle dans la cellule de l'obsédé, son père qui se fait abattre, pourquoi ? On comprend un peu mal ses malaises et la fin est un peu bâclée lorsqu'elle est récupérée... Les organes du pouvoir sont complètement absents. J'espère un belle suite. Merci aux auteurs pour ce très beau moment de détente et surtout ce bel album que je suis heureux de classer dans ma collection.