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atteo poursuit sa guerre civile en Espagne. Avec une petite unité de combattants, il s’est établi chez don Figueras, un vieillard aux allégeances fascistes. Prisonnier de son fauteuil roulant, le patriarche est dépendant du héros et de ses compagnons d’armes dont il ne partage évidemment pas les convictions. Une sorte de respect s’installe tout de même entre les deux gaillards qui ont en commun le deuil d’un fils, réel pour l’un, symbolique pour l’autre. Les républicains coulent des jours presque tranquilles au domaine, mais l’ennemi se rapproche.
Dans ce récit, le conflit espagnol n’est finalement qu’un élément du décor d’un huis clos au cœur d’Alcetria, un village pas très loin de Barcelone. Le scénario convoque les mêmes personnages que dans les tomes précédents, au premier chef Mattéo, dont les relations familiales et amoureuses demeurent troubles et conflictuelles. Il y a aussi Aneschka, son amoureuse, et Amélie, avec qui les choses sont sempiternellement ambiguës. Ces deux femmes aux caractères affirmés entretiennent des rapports d’amour-haine, un peu en écho à ceux des deux hommes. La chronique repose sur des textes finement travaillés qui ont le don de surprendre par leur ton poétique et leur humour espiègle.
Les illustrations de Jean-Pierre Gibrat ont l’allure d’un crayonné magnifiquement mis en couleurs à l’aquarelle. Le dessinateur aime les femmes et prend visiblement plaisir à les dessiner. Le bédéphile a certes l’impression que c’est toujours la même et qu’elle ne vieillit jamais, mais qui diable pourrait se lasser de ces jolies brunes? Il se montre plus intransigeant avec ses acteurs qui portent davantage le poids du temps et des épreuves, certains diront qu’ils ont plus de caractère. Enfin, au-delà des portraits, l’artiste réalise de magnifiques décors. Certains sont très détaillés, d’autres moins, mais tous constituent de forts beaux écrins.
L’ultime opus de Mattéo est attendu dans deux ans alors que le héros sera cette fois partie prenante de la Deuxième Guerre mondiale. Le bédéiste compte ensuite donner une suite au Vol du corbeau. En entrevue à Casemate, il dit souhaiter établir des ponts entre ces deux univers. Les aficionados trépignent d’impatience.
Le village d'Alceteria a été pris et la République socialiste et anarchiste peut installer ses idées dans cette enclave. Propulsé au rang de chef, Mattéo prend le temps de discuter avec le vieux franquiste en fauteuil roulant qui occupe le bas de l'hacienda où il réside avec ses compagnons d'arme... lorsqu'il ne doit pas calmer les ardeurs guerrières de la belle Aneschka. Mais rapidement les nuages s'annoncent sur leur utopie quand la guerre civile se rappelle à eux...
Les textes de cette série sont grands! De ceux qui respirent l'énergie intelligente, à la fois très politiques, drôles, sans doute écrits avec facilité par un auteur dans son jardin. Je rappelle régulièrement combien être scénariste ne s'improvise pas et que beaucoup de dessinateurs confondent les deux rôles. Comme son confrère Bourgeon il fait partie des pas si nombreux auteurs de BD à part entière dont les scénarios sont au moins aussi excellents que les dessins.
Aux beuveries désinvoltes du précédent volumes qui faisaient écho à un esprit naïf de ces guerres idéologiques du XX° siècle, cette cinquième époque apporte l'hiver de la dure réalité de la guerre. Celle des morts et de la défaite. Si le texte reste léger et cynique comme son narrateur, le drame est réelle et le lecteur un peu historien le sait inéluctable. Il n'y a rien de plus amère que de revoir ce qui aurait pu être, de voir dans les magnifiques aquarelles de Gibrat cette utopie anarchiste naître et mourir.[...]
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Une nouvelle fois le travail de Gibrat est magnifique.
Excellent album tant au niveau du scénario que des dessins.
Mattéo : " Vous êtes la femme d'à côté de ma vie, ma chère Amélie, et c'est parfait ainsi ".
autant j'avais moyennement apprécié le tome précédent autant j'ai bien aimé celui là.
les dessins sont comme toujours superbes.
les couleurs étant à l'avenant.
coté scénario, je l'ai trouvé intéressant et touchant avec, entre autre, cette rencontre improbable entre le petit fils et son grand père.
bref, un bon album d'une bonne série.
seul regret, comme d'habitude la guerre d'Espagne est idéalisée et donne toujours le beau rôle aux républicains.
dans la réalité, ils furent dans leur grande majorité manipulés par Staline et furent coupable comme l'autre camp de beaucoup d'atrocités.
du bel ouvrage , bien construit dans le scénario le dessin la mise en couleurs . Auteur inspiré au mieux de son art capable de transmettre ses émotions dans le souci du détail de chaque planche j'aime vos personnages de toutes sortes les femmes jeunes ou vieilles les hommes avec leur faiblesses et leur handicap
Une petite musique mélancolique
Amélie et Mermoza partis à bord de l’avion de ce dernier pour effectuer des relevés topographiques dans une zone où s’affrontaient phalanges franquistes et Républicains n’étaient pas rentrés de mission à la fin du quatrième volume de Mattéo et leur sort était resté en suspens tandis que le héros éponyme s’était installé chez le notable du village, Don Figueras. Le cinquième tome nous apporte des réponses et, formant diptyque avec le précédent, conclut superbement l’épisode de la guerre civile espagnole en narrant les aventures de nos héros de septembre 1936 jusqu‘à la retirada de janvier 1939.
Depuis le début de la série, Jean-Pierre Gibrat alterne entre des tomes qui couvrent une longue période (14-18 pour le tome 1, la révolution bolchevique pour le 2 et la guerre espagnole pour le 5) et des moments beaucoup plus courts (15 jours en 1936 pour le tome 3 et quelques semaines pour le 4) et il profite de ces différents tempos pour installer les petites histoires des protagonistes dans la grande Histoire…
Ce tome 5 se déroulant dans un quasi huis-clos, le village d’Alcetria, a déjà des allures de conclusion. Sous le soleil plombant espagnol, les espoirs politiques se délitent, les personnages des premiers volumes se retrouvent pour mieux se perdre et c’est le tome des révélations sans happy end. Les relations s’étoffent et acquièrent une vraie densité. Pourtant, Gibrat n’a jamais été aussi peu disert que dans ce volume : il laisse place à toute l’expressivité de son dessin en nous proposant des doubles pages muettes et de nombreuses vignettes de visages en gros plan en champ contrechamp dans lesquelles les regards et les expressions extrêmement travaillés en disent beaucoup plus que de longs discours. Il fonctionne par litote en montrant par exemple la belle Amélie, ex-otage des phalangistes, préférer un Mauser à sa sacoche d’infirmière. L’auteur ne tombe jamais dans la grandiloquence ni dans le pathos. Soit il manie l’ironie (le sentimentalisme des retrouvailles entre Amélie et Matteo quand elle lui tombe dans les bras au moment de l’échange est immédiatement mis à mal par la scène quasi identique dans laquelle le curé abattu finit dans les bras du général) soit il pratique l’art de la retenue. Il use de l’ellipse et de la symbolique aussi comme dans ces grandes cases symétriques dans lesquelles Robert part à la conquête de Saragosse, la fleur au fusil, par une belle journée d’été pour revenir battu et dépité deux pages plus loin – et quelques mois plus tard- à Alcetria un soir d’hiver enneigé.
Dans cette œuvre très construite, le long monologue de Matteo comme la phrase gimmick d’Aneschka « là y a pas rien » acquièrent une valeur particulière, presque musicale : en devenant point d’orgue et variations. La légèreté initiale se mue en gravité. Petit à petit l’étau se resserre autour des héros : c’est la débâcle historique et la déroute des sentiments. On est loin du « pessimisme sifflotant » des premiers tomes et les confrontations acquièrent ici une grandeur tragique. Gibrat, au sommet de son art, ne semble rien laisser au hasard : le moindre détail est signifiant et ce qui apparaissait comme une digression s’avère finalement capital. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’il a en tête le scénario du tome 6 - dont il a déjà écrit la dernière réplique - qui réorchestrera toute la petite musique mélancolique de la série.
« Matteo » est une somme et une œuvre rare dans la bande dessinée parfaitement orchestrée scénaristiquement et splendide graphiquement…déjà un classique dont on attend, avec une impatience mêlée de tristesse, le dénouement.