Les mixbodies sont apparus soudainement, quelques jours après la chute de météores sur Terre. Ces hybrides d'humains et d'animaux sont sortis du sol, comme des plantes. Ils inspirèrent d'abord une curiosité craintive qui se mua rapidement en méfiance. Marginalisés, ostracisés, malmenés, certains développèrent un sentiment de défiance envers les humains. Des groupes de résistance apparurent, multipliant les actions pour dénoncer les traitements inhumains infligés à leurs semblables. Ses actions devinrent le prétexte pour les arrêter massivement et les regrouper dans des camps, réfléchissant au modus operandi d'une solution finale.
C'est à ce moment que débute le dernier tome de cette trilogie de Ludovic Debeurme.
Epiphania est à la fois un récit intime et une fable politique. Celle-ci s'attache tout autant à suivre l'évolution de Koji qu'à développer une série de thématiques essentiellement anti-capitalistes et écologistes. L'ensemble reste malgré tout très cohérent dans l'équilibre des sujets traités et dans la progression narrative.
Le premier tome se concentrait sur David, un homme brisé par la mort de sa femme. Celui-ci décide d'adopter Koji, un mixbody "né" au fond de son jardin. À travers la description d'une cellule familiale atypique, l'auteur aborde non seulement la difficulté d'intégration pour les personnes différentes, mais également la violence qu'elle peut engendrer.
Le second tome correspond à l'adolescence de Koji. Marqué par l'injustice du sort réservé à ses congénères, il se révolte et rejoint un groupe d'activistes. Très vite, la question des moyens d'action se pose. La tentation de la lutte armée est d'autant plus forte que le traitement réservé à leurs semblables devient de plus en plus inhumain.
Dans ce dernier tome, Ludovic Debeurme considère cette fois l'humanité dans sa globalité. Alors que les mixbodies sont exterminés, des Titans surgissent de terre. Ils semblent indestructibles et sèment la destruction partout où ils passent. Les hommes sont contraints de fuir devant l'avancée de ces monstres.
Le récit aurait pu basculer dans le spectaculaire basique, servant un pensum idéologique. La crainte était légitime après un second tome qui perdait de son originalité pour un traitement trop classique dans le chef d'un auteur comme Debeurme. La dimension intime n'y a pourtant jamais été aussi présente. L'auteur introduit pour la première fois un narrateur; la voix de Koji, ses interrogations, son cheminement intérieur accompagnent le lecteur dans la basculement qui se déroule sous ses yeux. Plus que jamais, l'universel et le personnel se rejoignent dans ce dernier acte, volontairement utopique et poétique.
Il est évident qu'Epiphania revendique un engagement politique très marqué. Plus qu'une fable écologique, c'est une critique féroce du néo-libéralisme et du capitalisme.Les codes sont ici mélangés allègrement , s'inspirant d'un côté des méthodes "coup de poing" des militants de L214, tout en adoptant de l'autre une esthétique très "douce". Les portraits en page de garde évoquent bien sûr Tintin, mais aussi Charles M Burns, qui reprend le même gimmick. Le trait évoque naturellement Daniel Clowes, mais en lui apportant une sensibilité bienvenue. La palette de couleurs (co-réalisée avec Fanny Michaëlis) privilégie les teintes pastelles et le choix de détourer les dessins de traits de couleur plutôt que de l'habituel noir adoucit encore le graphisme. Les lettrines en tête de chapitres évoquent davantage les beaux livres pour enfants qu'un récit militant. Les planches sont essentiellement construites selon le gaufrier classique, même si ce dernier tome introduit des mises en page plus aérées. Pourtant, la relative sagesse du contenant ne fait que souligner la violence contenue.
Epiphania s'impose comme une trilogie très personnelle, qui assume complètement son message, quitte à s'aliéner une partie du lectorat. Ludovic Debeurme ne veut pas plaire au plus grand nombre. Il se positionne clairement contre l'idéologie capitaliste et exprime ses craintes liées à l'impact de l'humanité sur l'environnement. Mais il le fait au sein d'un récit extrêmement bien pensé et construit, d'une grande cohérence narrative et visuelle. De nombreux lecteurs seront sans doute rebutés par les prises de position explicites de l'auteur. Cela ne doit pas pour autant occulter les qualités bien réelles de cette trilogie.
Sublime série.
Un auteur complet au sommet de son art.
Quelle métaphore...!
Dessins très créatifs, scénario universel qui rappelle à chacun les vraies valeurs de la vie.
Exceptionnel en tout point