L
a mise à mort ignominieuse de Pélias n’aura servi à rien. Malgré son coup de force, Jason a vite cédé devant les armées de son cousin Acaste et il fuit de nouveau. Il entraîne Médée, enceinte, jusqu’à Corinthe où il obtient pour eux l’hospitalité de Créon en lui offrant les plans de l’Argo. Des jumeaux naissent et des années passent, heureuses. Mais la liberté manque cruellement à la Colchidienne obligée de vivre au gynécée comme les Grecques et, au palais, l’hôte du couple attend que l’heure vienne de concrétiser ses desseins longuement ourdis.
Le temps de la maternité a sonné, talonné par celui de la jalousie meurtrière. Dans ce dernier album, Blandine Le Gallet replace son héroïne dans son rôle de mère, puis d’empoisonneuse et d’infanticide. Ainsi, le récit s’attarde d’abord sur une période douce, où la jeune femme parvient à trouver sa place, malgré les contraintes de son statut. Elle rayonne de cette tendresse aimante propre à celles qui ont donné la vie, tout en mettant à profit, en cuisine, les gestes qu’elle a appris durant sa formation avec les disciples d’Hécate. En parallèle, un traquenard se dessine, fruit des visées du roi Créon. Au fil des pages, la tension monte crescendo, à coup de menus propos, de non-dits éloquents et de regards appuyés ou fuyants. L’issue est connue. Elle survient, implacable, tellement logique qu’elle en devient douloureuse.
La grande force de ce récit est de rendre à Médée sa dimension si vertigineusement humaine. Entre la trahison d’un époux pusillanime, son éviction par une rivale, sa soif d’être maîtresse de son destin, la magicienne ne manque pas de toucher, et cela en dépit des moyens employés pour assouvir sa colère et son désir de vengeance. Tout culmine dans la magnifique scène où la Cochildienne, accompagnée de ses fils, tente de s’échapper par les passerelles surplombant les rues corinthiennes. Acculée, le flot de ses pensées l’emporte, à l’instar du lecteur, vers la seule sortie qui lui semble encore possible. Difficile de ne pas se sentir aussi nauséeux et dévasté que la protagoniste. Quand il s’ouvre à la moitié de l’album, le second livre porte toute l’amertume de ce qui s’est passé précédemment. Blandine Le Gallet y poursuit la légende qui veut que la sorcière et criminelle redoutée soit ensuite devenue reine d’Athènes au côté d’Égée, lui offrant également un successeur, mais demeurant en butte aux commérages et aux menées de proches malintentionnés. Reflet déformé de sa vie précédente, cette nouvelle existence reste noyée par le poison de ses souvenirs et du sang qu’elle a fait couler. Le parcours de la belle s’achève sur un énième et particulièrement long exil, coupé du monde.
Au dessin, Nancy Peña offre de somptueuses planches. Intensément animée, l’héroïne troque les rondeurs enfantines pour celles de la grossesse, puis pour les courbes de la mère, avant, progressivement, de s’amincir toujours davantage. Son corps et son visage mûrissent, tandis que des stries blanches gagnent du terrain dans sa chevelure de jais. Ce n’est plus une adolescente, mais pleinement une femme marquée par le temps et les tourments. Les autres personnages sont à l’avenant, campés avec justesse et bien caractérisés. Les décors et détails se révèlent soignés et, joints à une colorisation riche, créent de magnifiques ambiances.
La chair et le sang conclut brillamment une quadrilogie menée de main de maître par un duo d'autrices talentueuses. Leur Médée n'est plus seulement puissamment fascinante, elle est aussi inoubliable.
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Un 4° tome épique et puissant qui vient clore une série magnifique et boucler la boucle amorcée dès l’entame du 1° tome.
Il s’agit en fait d’un double album (108 planches), divisé en 2 chapitres, qui ne se contente pas de raconter la suite et la fin de l’histoire de Médée, mais qui va bien au-delà par ses dimensions psychologique et philosophique.
Blandine Le Callet se détourne un peu de la mythologie pour ancrer sa Médée dans l’histoire. Mais sur cette trame devenue plus réaliste, elle greffe ce qu’il faut de sortilèges, non pour faire de son héroïne la sorcière qu’elle a la réputation d’avoir été, mais une guérisseuse avide de savoirs, manipulant décoctions et poisons. Le pari est réussi et le récit passionnant. Les autrices se sont saisies de cette légende pour en faire un manifeste contre la tyrannie, l’autocratie, la misogynie. Dans cette fresque, Médée n’a eu de cesse d’être pourchassée, proscrite et persécutée pour ce qu’elle était : une étrangère, femme, libre, indépendante et intelligente.
Pour lui donner corps, Nancy Peña aux crayons délivre un dessin subtil et détaillé, fin, épuré, sensuel, superbement colorisé, qui magnifie le décor antique.
Admirez les 4 couvertures où, au fil des tomes, Médée se retourne pour faire face au lecteur, de plus en plus maculée de sang… Quelle classe !
Je précise pour finir que "Médée" n’est pas forcément une BD grand public ; c’est une BD d’auteur, presque un roman graphique.
Donc si vous n’êtes pas un bourrin et sensible à mes arguments, ne passez pas à côté !
Un dernier opus tout aussi cohérent et réussi que ses prédécesseurs permettant ainsi de constituer une série de très haut niveau. L'histoire est vraiment très bien racontée et s'appuie sur un dessin toujours aussi élégant participant pleinement à la narration. Un régal !