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lors que Tahnee Juguin termine d'amasser assez d'argent pour s'offrir son second voyage, en solitaire, elle ne se doute pas que sa rencontre avec le peuple mentawaï va changer sa vie. Plusieurs séjours entre 2011 et aujourd'hui ont forgé une amitié indéfectible avec Aman Lepon et Theo Jartho. Aussi, lorsque la réalisatrice a l'occasion de leur offrir un moyen direct, loin des reportages formatés, de s'exprimer, elle n'hésite pas une seconde.
Véritable documentaire, né de la frustration d'une séquence vidéo qui a galvaudé la volonté première de la réalisatrice et de ses amies, cette bande dessinée respire l'humanité. Celle de la démarche tout d'abord : constituer une mémoire, visuelle. Graver les traditions séculaires d'un peuple qui a subi de multiples brimades et attaques. Depuis les années 60, le gouvernement indonésien a tout mis en œuvre pour sédentariser et assimiler les Mentawaï, cette volonté ne ralentissant qu'avec l'apport financier du tourisme de masse. C'est également l'envie de donner la parole aux autochtones de l'île de Siberut pour qu'ils soient les premiers artisans, partie prenante, de ce relais. Une sorte d'échange en somme, de pont entre deux cultures.
Si l'autrice s'est appuyée sur ses amis pour mettre au point son scénario, c'est à Jean-Denis Pendanx que revient la partie graphique. Coutumier des décors exotiques comme en témoignage sa bibliographie (Tsunami, Abdallahi, Au bout du fleuve), l'artiste est dans son élément. Toutefois, son approche diffère quelque peu de ce qu'il a l'habitude de proposer. Si les paysages sont moins détaillés et les ambiances moins marquantes (exception faite bien sûr des cérémonies), c'est avant tout pour deux raisons. L'urgence due au mode de création (différents allers-retours entre le dessinateur et les Mentawaï via Tahnee) et la précision voulue quant aux représentations des éléments culturels. De la position des objets des Uma au mouvement des corps des Sikerei lors des rituels exposés. Le tout habillé de peintures éclatantes de lumière et d'un découpage limpide, pour une parfaite lisibilité.
Le but n'est pas uniquement de présenter (correctement) les traditions, ce récit permet de casser le cliché de la tribu sauvage cachée au fin fond de la jungle. Accessibles, les Mentawaï font preuve de lucidité et d'ouverture. Lucides quant à l'importance des touristes qui leur apportent l'argent nécessaire pour vivre et ouverts à la fois aux autres, aux étrangers mais aussi au changement, du moment qu'il ne va pas à l'encontre de leurs croyances animistes. Enfin, la nécessité de faire perdurer leur mode de vie, de le transmettre et d'en parler transpire de chaque personnage. Ce n'est pas pour le folklore qu'ils se battent, mais bien pour leur mémoire.
Noble dans sa démarche et appliqué dans sa réalisation, Mentawaï ! se révèle une docu-BD qui offre à un peuple les honneurs qu'il mérite tout en informant. Les amoureux de voyages et tous les curieux n'ont plus qu'à embarquer au bord de la pirogue de Tahnee Juguin, Jean-Denis Pendanx et leurs complices.
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