« Quand j’dois bosser
Alerte rouge
La gueule pétée
Alerte rouge
Quand j’suis défoncé
Alerte rouge
Quand j’suis énervé
Alerte rouge »
Ljubljana, milieu des années quatre-vingt. Youri « La Taupe » et ses potes découvrent la culture punk dans une Yougoslavie apathique qui n’a pas encore compris que Tito et son idéologie étaient morts. Suivant au mot leur nouvelle idole Johnny Rotten, ils ne voient pas de futur possible pour eux. Vingt ans plus tard, dans ce qui est devenu la capitale de la Slovénie, ils doivent bien se faire une raison, ils avaient tort. Par contre, si leur petit pays a échappé au pire – les guerres fratricides qui ont mis leurs anciens compatriotes à feu et à sang -, le temps ne leur a pas fait de cadeau. Bien que les vertèbres ne suivent plus et que la musique de la génération d’aujourd’hui se résume à du boucan indigeste : « Punk un jour, punk toujours ! »
Dans Alerte Rouge, Tomaž Labrič TBC se remémore son adolescence par l’intermédiaire d’un alter-ego sympathique et souligne particulièrement le rôle que le rock a joué sur son développement personnel. Disques de contrebande, car occidentaux et décadents, beaucoup de système D pour s’attifer d’un look destroy de circonstance, pas mal d’embrouilles avec les autorités et les bandes rivales, il fallait du courage pour être un rebelle dans les Balkans ! En fin de compte et au-delà de la géographie et des époques, les pérégrinations de La Taupe et ses amis ne diffèrent que très peu de celles des héros de Baru, Jano ou Margerin : concerts pourraves, râteaux mémorables et cuites à répétition. « Il faut bien que jeunesse se passe, ma pauvre dame. »
Également très similaire pour ne pas dire universel, le regard vers le passé que porte le protagoniste principal maintenant adulte et père de famille. Les Slovènes ont eu de la chance, pas de conflit destructeur et une certaine stabilité politique, mais quel quotidien ennuyeux ! Là aussi, le constat auquel arrive l’auteur de Fables de Bosnie n’est guère original : ici comme ailleurs, tout le monde vieillit et, à un moment ou un autre, est obligé de trahir les idéaux de ses dix-huit ans. Heureusement, les portraits que le scénariste dressent de lui-même et de ses compagnons d’alors s’avèrent excellemment pensés. Untel, qui n’était pas un enfant de chœur, est un politicien surfant sur l’extrême droite, un autre, déjà retors à l’origine, continue d’entretenir des trafics louches, tandis que la belle Suzi, elle qui savait si habilement user de ses charmes pour parvenir à ses fins, comprend à travers ses filles ce qu’elle faisait subir à ses proches. Et ce brave La Taupe ? Un peu comme le Lucien de cinquante piges, il a toujours la banane et pas mal de surpoids à cacher ! Ouille ouille ouille, le « reality-check » se montre impitoyable.
Recueil d’histoires courtes écrites de 1996 à 2010, Alerte Rouge oscille entre l’excellent et le moyen (surtout au niveau graphique). Par contre, sa franchise et son ton débridé rendent la lecture prenante et des plus réjouissantes.
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