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ui a peur des contes de fées ? Personne depuis qu’ils ont été édulcorés par Disney. Ces histoires se révèlent pourtant souvent cruelles, comme le savent les amateurs des historiettes de Charles Perrault et des frères Jacob et Wilhelm Grimm. En 1979 et 1980, Carlos Trillo et Alberto Breccia se sont inspirés de l’œuvre des deux Allemands pour donner leur version de cinq de ces fictions.
Les psychanalystes l’ont expliqué, les fables sont fondamentalement des leçons. Les deux Sud-Américains embrassent cette tradition, mais n’hésitent pas à la moderniser pour aborder des questions contemporaines. Ainsi, Cendrillon discute des dangers de la popularité instantanée (comme si le duo avaient anticipé la téléréalité), La Belle au bois dormant présente une réflexion sur l’euthanasie et la pertinence de maintenir artificiellement un individu en vie et le chaperon rouge est sauvé par un policier qui se déplace en voiture et se conclut sur une déclaration ambiguë et énigmatique de la mère de la jeune fille : « Ce n’est plus mon petit chaperon… maintenant on l’appelle Margot. »
En préface, Fernando Ariel Garcia cite les travaux de linguistique d’Umberto Eco et affirme : « Le texte devrait également inclure un reliquat d’espaces vierges que le lecteur devra lui-même combler… » Cependant, quand Le petit chaperon rouge est résumé en vingt-quatre vignettes et La belle au bois dormant en douze, il est légitime de se demander si le vide n’est pas juste un peu trop grand ; il est vrai que les auteurs peuvent légitimement postuler que ces récits sont connus et que l’ellipse est recevable.
Au-delà de l’actualisation de légendes connues, c’est graphiquement que le livre surprend le plus. Très audacieux, Alberto Breccia propose un mélange de peinture et de collages (bouts de papier, morceaux de tissus et fragments de photos) pour créer des illustrations qui ne manquent pas de rappeler les tableaux de James Ensor, un peintre expressionniste belge qui appréciait particulièrement les sujets carnavalesques. Les couleurs se montrent vives, crues, voire violentes, tout comme le sont les traits des sorcières, des loups et autres belles-mères. Le projet est par ailleurs émaillé de références au neuvième art. Parmi les nains, le bédéphile reconnaît Corto Maltese et Yellow Kid, un dessin de Mort Cinder apparaît dans un cadre, mais, et surtout, un chien (est-ce Pluto ?) urine sur une représentation de Mickey Mouse, devant un Pinocchio estomaqué.
Qui a peur de contes de fées ? Certainement pas les censeurs argentins de l’époque qui n’avaient pas compris que ces allégories peuvent être diablement subversives.
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