1945, des berges de L’East river au front allemand, il y a un océan. Toutefois, est-ce assez pour fuir la haine de Maggie ?
Après avoir tutoyé la skyline naissante de Manhattan, Mikaël arpente désormais les trottoirs de New-York avec les bootblacks qui, pour 10 cents, lustrent les chaussures des col-blancs de Wall Street.
Toujours attaché à ceux qui firent l’Amérique au quotidien et à l’urbanité new-yorkaise, le dessinateur franco-canadien raconte, dans ce nouveau diptyque, la vie d’Al Chrysler, fils de migrants germaniques, qui rêve d’emmener miss Beauford à Coney Island et, pourquoi pas, au-delà. Cependant, la roue de la fortune est capricieuse et l’argent ne tombe pas du ciel, surtout pour ceux qui dorment à la belle étoile. Sur un gris-vert quand il est question d’Europe et des teintes brunes lorsqu’il s’agit de décrire la mégapole de la côte Est, Bootblack dépeint avec lucidité, mais sans montrer ce que la misère peut produire de pire, cette frange de l’Amérique laborieuse qui à défaut de s’enrichir, s’essaye à se reconstruire une identité, un avenir. Facétie de l’Histoire, ignorés par l’Oncle Sam, nombre de ces fils d’émigrés porteront les couleurs de la bannière étoilée pour revenir libérer du nazisme le continent de leurs pères.
Ce premier volet reste dans la lignée de Giant et donne ainsi aux derniers albums de Mikaël des airs de fresque sociale, à l’image - toute proportion gardée - des naturalistes du XIXe.
Quel talent !
Arriver à mettre de la poésie, de la finesse dans l'enfer du New York de la grande dépression économique cela touche au génie.
La qualité du dessin, nous plonge dans une ambiance feutrée pour mieux nous surprendre par la violence des bas fonds.
La narration subtile, nous cueille pour vivre une histoire passionnante et riche en émotions.
Bravo !
1945. Quelque part sur le front européen dans une Allemagne où les nazis ne veulent rien céder sans le faire chèrement payer.
Altenberg, au milieu des cadavres de ses compagnons, se retourne sur son passé…
Automne 1929. New York.
Altenberg déteste son prénom. Il y a de quoi ! Son paternel lui parle sans arrêt de ses racines sur le vieux continent. Altenberg, c’est de là qu’ils viennent. Mais qu’en a-t-il à foutre du vieux continent ! Il est sur le nouveau. Là, les gens se font tout seuls ! Il fugue. La nuit est froide. Il décide de rentrer chez lui pour retrouver un peu de chaleur. Mais que font tous ces pompiers, là ? Est-ce bien son immeuble qui est en flammes ?
En une nuit, il a tout perdu et se retrouve dans la rue avec pour seuls biens les vêtements qu’il porte sur lui. Altenberg, c’est fini ! Maintenant, il n’est plus que Al ! Bientôt viendra s’ajouter un « nom de famille » : Chrysler…
Critique :
Le côté sombre réussit plutôt bien à Mikaël. Mais qu’est-ce que les vies pouvaient avoir de drôle, de coloré, dans le New York des années de la grande dépression ? Surtout pour ces migrants qui n’étaient pas spécialement les bienvenus. En particulier lorsque le travail vint à manquer après le Krach de 1929…
Mikaël adore dessiner cette ville de New York et ces années épouvantables pour des millions de chômeurs. Il traduit magnifiquement bien cette atmosphère par son trait noir d’où se dégage une atmosphère sombre à l’image de ce que vivaient tous ces immigrés.
Au travers des souvenirs de Al, il nous donne à voir combien il était difficile de survivre dans de pareilles conditions au sein de la monstrueuse cité, en particulier pour un gamin orphelin.
Cireur de chaussures. Seul moyen de subsistance pour un môme qui vivotait dans la rue et dont la seule famille se résumait à Shiny, un fils de personne, aussi paumé que lui. A deux, ils ne se débrouillaient pas trop mal : oui, ils survivaient. C’était déjà ça.
Et puis, un jour, il y eut Maggie… La belle Maggie. Celle qui prenait Al de haut. Lui, il savait que personne ne comprenait cette fille. Elle avait quelque chose à cacher. Il en était follement amoureux. Son rêve, c’était d’entraîner Maggie Beauford à Coney Island, sur la grande roue …
En mélangeant les époques, parfois sur la même planche, Mikaël risque d’égarer l’un ou l’autre lecteur. Les scènes se déroulant en Europe sont dans un gris bleuté. New York est plongée dans les bruns, les beiges et parfois les verts.
Les scènes ont un côté cinématographique appuyé : gros plans, plongées, contre-plongées… rendent vivante cette histoire qui nous fait découvrir que le pays de l’Oncle Sam était loin d’être un paradis pour tous, mais que l’espoir de s’élever socialement était très fort parmi cette faune bigarrée.
La couverture est une pure merveille d’art graphique. Plus de la moitié de la page est remplie par la réflexion sur une flaque d’eau des immeubles de la ville et de la voiture pour mieux isoler le « bootblack » agenouillé se livrant à sa tâche.
Après l'excellent Giant, Mikaël revient avec Bootblack. Apparemment un troisième volet est prévu dans cet univers...
Bref, sans avoir la verve de mes prédécesseurs pour commenter le scénario et les références aux films du genre, j'ai trouvé l'histoire passionnante et émouvante. Le dessin est juste monstrueux avec une recherche incroyable dans la variété des plans et des cadrages, dans le choix des couleurs, en gardant une lisibilité parfaite.
C'est ce que j'appelle de la très bonne bande-dessinée !
Bravo, on en redemande !!!
Contrairement au précédent double album de l'auteur, la référence assumée de Bootblack est Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Sacré monument qui a dû faire douter un moment Mikaël tant il est risqué de s'émanciper d'une telle mythologie. Pourtant l'auteur parvient à installer un univers visuel, une atmosphère très particulière où l'expérience acquise sur Giant joue très certainement: j'étais un peu resté sur ma faim à la lecture de ce dernier dont l'histoire m'avait paru finalement un peu faible au regard des ambitions affichées et de la portée historique, quasi documentaire qu'affichait la référence à la photo si réputée des ouvriers sur une poutre. Ici il n'en est rien et dès l'ouverture sur le champ de bataille de la seconde guerre mondiale l'on sait que nous aurons droit à une chronique au passé, à une histoire originale. Cela a le double avantage de nous impliquer avec un personnage plus fort que le mystérieux et mutique Giant et de coupler la période avec son personnage. Il est vrai que ces quelques années au sortir de la Prohibition ont une force fascinante, entre l'imagerie de la Grosse pomme avec ses gratte-ciels, ses fumées permanentes et ses communautés européennes en cohabitation, la pègre, les clubs et surtout cette multitude de personnages aux parcours plus ou moins cabossés et qui souhaitent s'en sortir, souvent de façon illégale à une époque où la Loi est souvent celle du plus puissant et du plus corrupteur.[...]
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Dans la lignée de Giant et dans un contexte identique on retrouve ici de jeunes personnages qui essayent de vivre et survivre dans un New York très dur.
Histoire toujours très touchante, sincère et prenante (comme souvent avec Mickael).
Dessin pertinents, couleurs très sombres graphisme volontairement sale et crasseux et ambiance d'insécurité permanente. Bref tout est réfléchi, maitrisé et bien mis en place.
Il en ressort une histoire passionnante qui retrace la vie du jeune Al Chrysler dont on s'attache très vite et dont on veut connaître la suite des péripéties.
« Il était une fois en Amérique » revisité par le talentueux Mikael qui, après le somptueux diptyque Giant racontant la construction des gratte-ciels, nous entraine, ici, dans les ruelles tortueuses du New York de la prohibition pour suivre la vie d’un jeune migrant, Al Chrysler. Passionnant.
Super album ! Vivement la lecture du tome 2.
L'ambiance des années 30 est superbement retranscrit par l'auteur , le dessin est juste sublime. Je recommande vivement.
En 1945, sur le front en Allemagne, un jeune G.I erre au milieu des corps de ses camarades et se souvient de son enfance new-yorkaise. Fils d’immigrés allemands, le jeune Altenberg s’est brusquement retrouvé orphelin à dix ans, en 1929, quand sa famille a péri dans l’incendie des baraquements du Lower East Side qui leur servaient de logements.
Pour survivre, il devient« bootblack », cireur de chaussures, dans un pays en pleine dépression. Il grandit en compagnie de Shiny, un autre enfant des rues en admirant sa belle voisine Maggie la fille du fruitier d’à côté qui l’ignore car ils ne sont pas du même monde. Quand, en 1935, les deux garçons font la connaissance d’un jeune pickpocket, Joseph « Diddle » Bazilsky, Al qui se fait désormais appeler Al Chrysler, décide de s’associer avec lui pour sortir du bourbier et conquérir sa belle…
Après son superbe diptyque "Giant" qui racontait la vie des ouvriers immigrés « célibataires économiques » qui bâtissaient les gratte-ciels new-yorkais dans les années 1930, Mikaël poursuit cette geste avec une seconde histoire en deux volumes. Il ne s’agit pas vraiment d’une suite mais on y trouve des rappels de l’histoire précédente : ainsi, Al et son camarade Shiny apparaissaient en figurants dans le tome 2 de "Giant" et indiquaient au mafieux Frankie et à son homme de main Vito où se trouvaient leurs protégées et l’on retrouve également le duo de malfrats dans ce nouvel ouvrage ; de même l’un des migrants de "Giant" racontait l’histoire du petit garçon devenu muet après avoir assisté à la mort de sa mère renversée par un tramway et ce petit garçon, William alias Buster, occupe une place clé dans ce 1er tome de "Bootblack" puisqu’il fait partie de la bande des « loups de l’East river » que dirige Al.
Mais, là où "Giant" s’appuyait sur une photo célèbre « Lunch at top of a skyscraper », allant jusqu’à en retracer la genèse imaginaire avec le personnage de la photographe, "Bootblack" s’ancre davantage dans notre imaginaire collectif et notre représentation des années 30 et de la grande pomme façonnée par des références plus cinématographiques. On retrouve ici, en effet des clins d’œil à "Des hommes sans loi" de John Hillcoat mais surtout à l’épopée de Sergio Leone "Il était une fois en Amérique" : le voisin des parents d’Alterberg s’appelle Bercovicz comme le personnage de Max dans le film, les adolescents épient les danseuses du club d’à côté par une fente dans la cloison comme David (De Niro) espionnait Deborah et surtout l’album raconte également la naissance d’une amitié et d’une rivalité amoureuse en se situant au même endroit, le quartier de Fulton Market près de L’East river.
Mikael utilise enfin, comme le cinéaste, une narration éclatée qui mélange les époques (1945, 1929, 1935) et donne une véritable originalité et son album. En effet, il met ainsi en place une redoutable mécanique narrative. Un peu à la manière du chœur antique au début de "La Machine infernale" de Cocteau, le protagoniste dans le cadre désolé de la guerre, nous avertit dans son récitatif que tout finira mal. Dès lors la tragédie n’a plus qu’à se dérouler sous nos yeux. Ainsi, chaque fois que dans l’adolescence du héros, l’espoir naît et l’optimisme prend le dessus (dans une palette de jaunes mordorés ou de vieux rose dans les pages consacrées à Maggie), on observe un retour au vert de gris et aux fonds blancs de la guerre en 1945. Ces couleurs vertes « contaminent » d’ailleurs les pages-paysages de New-York et en font une vaste prison et un champ de bataille par avance. Dans Giant, on « côtoyait les nuages » et il y avait de nombreuses scènes en intérieur. Ici tout ou presque se passe dehors ; nombre de plans sont à hauteur d’homme ou plutôt à ras de trottoir.
La magnifique couverture en témoigne d’ailleurs puisqu’on y observe un enfant à genoux, véritable esclave moderne, travaillant pour un salaire de misère (indiqué en gros : 10 cents). Il a le regard baissé, des souliers crottés, évolue dans un environnement insalubre (pot d’échappement, papiers gras, humidité) dans une antithèse parfaite avec l’adulte aux chaussures rutilantes et à la grosse voiture occupé à lire son journal. Le côté écrasant de New-York, « la monstrueuse cité » (p.8) se retrouve dans la contre-plongée sur les immeubles et surtout dans le reflet sur la flaque d’eau : il n’y a aucun horizon au propre comme au figuré.
Alors que "Giant" se déroulait de façon linéaire et adoptait un rythme lent propice à narrer le quotidien répétitif et désabusés des ouvriers ; celui de "Bootblack" est plus trépidant, plus saccadé à l’image de ces jeunes gens qui veulent croquer la vie et croient encore au rêve américain. Il y a davantage de violence avec l’évocation des gangs et des rivalités ethniques et l’on passe de la chronique sociale du premier opus au thriller. Grâce aux flash-backs et aux ellipses, on est, enfin, souvent dans l’implicite. Le lecteur doit être aux aguets, attentif aux moindres détails et élaborer des hypothèses pour résoudre des énigmes pour l’instant sans réponse : qui est ainsi l’homme mystérieux à la Rolls-Royce qui fait surveiller Al par son chauffeur ? La Margaret des dog tags des scènes d’ouverture et de clôture est-elle la Maggie du héros ?
On retrouve ainsi dans ce deuxième diptyque de ce qui s’annonce comme « la trilogie new-yorkaise » de Mikael la même signature graphique (les noirs profonds, l’encrage brut et brossé, les magnifiques camaïeus de couleurs et les cadrages cinématographiques) mais ce dernier est davantage abouti que Giant dans sa construction narrative et surtout dans le portrait de personnages moins manichéens et plus fouillés : que ce soient Al, Joe ou encore Maggie tous sont porteurs de secrets et de contradictions.
Une vraie grande réussite !