« Je sais que Ferri bosse sur Astérix, mais il reste quand même mon ami. »
Le retour à la terre, cinq tomes publiés entre 2002 et 2008, puis plus rien, sinon des bédéphiles en manque. Le dessinateur Manu Larcenet et l’auteur Jean-Yves Ferri n’ont pas pour autant chômé tout ce temps. Le premier a délaissé la plaisanterie et s’est lancé dans Blast et Le rapport de Brodeck, deux séries bien noires. Le second a été adoubé pour scénariser Astérix. Après une longue pause, les deux lascars ont trouvé un moment pour renouer avec les néoruraux.
La vie suit son cours aux Ravenelles, Manu, éternellement grognon et angoissé, et Mariette, sa compagne, douce et patiente. Pour tout dire, rien ne change vraiment dans ce bourg perdu au bout du monde. Ah mais si, la jeune femme termine son septième mois de grossesse. En plein déni, l’alter ego du créateur du Combat ordinaire ne l’avait pas remarqué ou l’avait oublié, c’est selon. Alors rebelote, avec au menu anxiété et questionnements existentiels. La bande dessinée sur laquelle il travaille, Plast, est par ailleurs fortement teintée par ses états d’âme. Tellement que son éditeur s’inquiète et envoie Philippe à sa rencontre pour tenter de le convaincre de plutôt dessiner la suite de Nasty Bonzo.
Le scénariste ne réinvente pas une formule qu’il sait gagnante. La famille et ses tracas quotidiens restent donc au cœur des intrigues, lesquelles reposent sur un humour tendre et souvent absurde. L’homme maîtrise parfaitement la mécanique du gag. Ses saynètes d’une demi-planche sont impeccablement structurées et la chute fait mouche à chaque fois. Il convoque de nouveau sa galerie de truculents personnages secondaires, notamment la veuve Lamortemont, plus inquiétante que jamais, et l’ermite prodigue de ses sages conseils. L’émissaire de Dargaud prend pour sa part beaucoup d’importance, alors que les épisodes de son périple à destination du village s’intercalent tout au long de l’album. Petit souci chronologique, l’histoire commence à l’automne et s’achève au printemps, le deuxième enfant n’est cependant toujours pas arrivé.
Après deux gros projets, très austères et ambitieux qui lui ont permis de s’imposer comme un des grands du roman graphique, l’illustrateur revient avec une intention moins torturée. Le trait se veut joyeux, caricatural et presque désinvolte, du moins en apparence. Les acteurs, bien que schématiques, sont éminemment expressifs. Les décors sont pour leur part fréquemment réduits à leur plus simple expression, laissant toute la place aux comédiens et aux textes. Bref, l’artiste fait bien les choses.
S’il y regarde de plus près, le lecteur verra que cette série est davantage qu’une comédie légère. Le mal de vivre du héros demeure le fil conducteur, mais à cette question centrale se greffent des préoccupations sur la famille, l’amitié, la modernité, la vieillesse et même la mondialisation. Tout cela dans un grand éclat de rire. Chapeau.
Tout comme le Combat Ordinaire, le retour à la terre est un choc la première fois qu’on s’y frotte. L’histoire est pourtant tout ce qu’il y a de plus anecdotique : un jeune couple de citadins déménage pour s’installer à la campagne et va connaître une intégration pour le moins difficile.
Le dessin est très simple et épuré, mais Larcenet parvient à croquer chaque personnage en quelques coups de crayon bien sentis. Rien de bien transcendant au premier coup d’œil, il peut même paraître fade. Pourtant on est vite happé par le dynamisme de chaque scène et l’expressivité des personnages. Le découpage des planches en séries de cases indépendantes les unes des autres est intéressant car il permet à la fois une lecture sélective et force les auteurs à multiplier les scènes efficaces et les gags courts.
L’humour est présent sur chaque page, dans chaque bulle. Evidemment comme on peut s’y attendre, les stéréotypes des campagnards rudes répondent à ceux des Parisiens stressés et maigrichons. Mais il n’y pas que ça, comme dans le Combat Ordinaire, la tranche des 20-30 ans est extrêmement bien cernée : désabusée, privée de repères et perdue dans un monde toujours plus violent, froid et sale, Larcenet parle de manière subtile et compatissante à cette génération-là. La vraie vie est un tome rempli d’épisodes légers mais souvent révélateurs. Réservé à ceux qui veulent voir la jeunesse comme elle est.
Comme les albums précédents, c'est frais, c'est drôle, léger, malin, avec une grosse dose de dérision jubilatoire et un dessin naïf mais ô combien efficace. Bref, c'est le Larcenet qu'on aime.
On retrouve avec plaisir la galerie de personnages des Ravenelles, 10 ans après le tome 5. Rien n'a changé... ou presque! Si certaines des histoires secondaires sont sans doute moins prenantes, l'autodérision maniée à travers le personnage de Manu fait vraiment mouche!
J'ai à nouveau ri, souri et été ému comme au bon vieux temps des tomes précédents. Quel plaisir de retrouver la galerie des personnages du Retour à la Terre ! A la fois, tout est comme avant, mais tout évolue aussi. De nouveaux personnages font leur apparition, et Philippe de Dargo en sort transcendé. Tout cela est fait en finesse, avec beaucoup d'émotion. J'en redemande encore !
10 ans après... Larcenet/Larssinet nous régale toujours autant avec son Retour à la Terre: une charge poétique forte (le dessin humoristique est plein de délicatesse), une touche onirique qui évolue (les atlantes se font plus discrets et sont remplacés par un père ombreux dans un dédale de cartons), des personnages jusque là secondaires s'affirment (Philippe des éditions Dargaud)...et encore une bonne dose d'humour et d'ornithologie!
Un tome dans la lignée des 5 précédents : c'est toujours aussi frais et je suis content de relire Larcenet sur ce genre d'ouvrage (je suis beaucoup moins fan de ses BD plus noires).
Mais, quelques années après (bien trop longues), ça reste au final plutôt léger, et malgré ma lecture plaisante, je ne pense pas acheter ce tome (et donc continuer la série).