A
da vit à Galblitz à une quinzaine de kilomètres de Vienne. Nous sommes en 1917, en pleine forêt, et depuis que sa mère a déserté les lieux, la jeune fille subit les humiliations d’un père inculte et rustre. Nul ne comprend pourquoi cette enfant endure sans mot dire une existence de privations et d’interdictions, c’est peut-être parce que personne ne sait qu’en cachette, Ada peint !
Barbara Baldi avait frappé les esprits avec Lucenera, étrangement rebaptisé La Partition de Flintham de ce côté des Alpes. La critique transalpine n’avait pas manqué l’occasion pour la gratifier du prix Micheluzzi au Napoli Comicon et en faire la lauréate du prix Gran Guinigi au Lucca Comics 2018, récompensant ainsi l’une des meilleures dessinatrices du moment.
Publié par Ici Même, Ada s’inscrit dans les traces laissées par Clara dans La Partition de Flintham. Structurées sur trois strips à l’horizontale quand il est question de descriptions paysagères ou sur un gaufrier privilégiant un format 6x6 pour les passages plus diserts, les planches de l’illustratrice italienne possèdent une puissance graphique rare. Sachant varier ses techniques comme sa technicité, elle confère ainsi à son dessin une intensité émotionnelle variable selon les scènes. Ainsi passe-t-elle, avec une expressivité déconcertante, d’un trait brut pour caricaturer la tyrannie paternelle à un réalisme mimétique et chatoyant lors d’un éphémère passage dans la capitale austro-hongroise. Mais là où la dimension artistique de l'album éclate véritablement, c'est lorsqu'il est question de ces cieux tout en impression et de l’harmonie que son héroïne entretient avec les paysages qui l’habitent. D’une portée autobiographique assumée qui aborde des thèmes universels (la famille, la solitude, la construction de soi...) d’une manière toute personnelle, Ada possède une dimension à la lisière du thérapeutique. De la sorte, l'artiste dépeint ce qu’elle ne peut dire et l’apparente simplicité de son scénario pourrait constituer un bémol si l'auteure qu'elle est également ne savait parfaitement rendre compte de ce qui lui apparaît comme essentiel et ce en fort peu de mots.
La magie de l’Art est de pouvoir surgir des endroits les plus inattendus, sublimant l’atonie d’un quotidien en des fulgurances de formes, de couleurs et d’émotions... Un bel album tout en subtilité et en sobriété.
Le scenario tiendrait sur un Post-it. Ou plutôt, ce qui sert de fil narratif est si ténu qu’on ne le ressent pas en tant qu’histoire :
En 1917 au cœur d’une forêt autrichienne, Ada, jeune fille fragile sous le joug d’un père stupide et tyrannique, semble docile et résignée. Mais elle résiste pourtant à sa façon en s’adonnant secrètement à la peinture... Voilà, c’est tout pour le récit, ou presque.
A part une incursion à Vienne dans l'atelier d’Egon Schiele et Gustav Klimt, "Ada" n’est qu’une déambulation indéfinie et vaporeuse, quasi muette où le temps est suspendu et l’héroïne incertaine…
Ce livre est entièrement dédié aux sensations, comme si Barbara Baldi avait cherché à mettre du silence ou des odeurs en images. Un album hanté par une mélancolie profonde où l’autrice évoque à mots couverts la lutte contre l’oppression. Dans un contexte historique évidemment connoté mais complètement hors champ, cela prend une résonance particulière : même loin de la guerre, l’art serait ainsi une arme de résistance massive.
Le résultat est visuellement somptueux. Mais est-ce que cela suffit à en faire une grande BD ? Pour moi c’est oui, mais tout le monde ne sera pas ce cet avis…