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n avril 1917, le département de l’Aisne n’est qu’un vaste champ de bataille. Le carnage du Chemin des Dames vient de commencer. Le général Nivelle, commandant en chef de l’armée française, combat sur deux fronts : il s’obstine à attaquer inlassablement les positions allemandes et réclame des financements supplémentaires auprès de l’Assemblée Nationale. Les opérations inutiles et coûteuses en hommes se succèdent. Les troupes sont épuisées ; des velléités de mutineries se font jour çà et là.
C’est ainsi que, du fond de leur tranchée, La Tiff, Le Bœuf, Larzac et La Science, protestent d’abord de ne pas manger chaud, puis de se faire casser la tête pour rien, sauf pour obéir aux ordres de Nivelle, dit « le Boucher ». Un beau jour, en croisant une autre section, l’un d’entre eux se voit remettre un feuillet de plusieurs pages : une pétition de plusieurs centaines de poilus, exprimant leur ras-le-bol de servir de chair à canon. L’objet de la manœuvre est de permettre au document subversif d’entrer à la Chambre des Députés et d’orienter la stratégie militaire vers une préservation de la vie humaine. Il faudra d’abord convaincre le sergent Sabiane, équarrisseur à La Villette, et le lieutenant Katzinski, jeune officier ayant un peu trop fréquenté l’école, au regard de ses soldats.
Le Lombard réédite en version intégrale, dans la prestigieuse collection « Signé », les deux volumes parus respectivement en 2014 et en 2016. Xavier Dorison (Le troisième testament, Long John Silver ou Thorgal) et Emmanuel Herzet (La Branche Lincoln, Narcos ou Duelliste) y construisent un récit historique subtil et puissant à la fois. Ils peignent un conflit franco-français, entre un groupe improvisé de mutins et les responsables d’une armée refusant de remettre en cause les ordres, quels qu’ils soient. Au fil des pages, les hésitations se changent en certitudes, le suivisme en détermination et l’individualisme en sacrifice.
Face à ces barbouzes facétieux et attachants, se dresse le commandant Morvan, dit « le Puzzle », référence à l’entrelacs de cicatrices qui sillonnent son visage. Gardien de la loyauté militaire, adepte des rangs sans qu’aucune tête ne dépasse, estimant que chaque troufion a droit aussi à sa « gueule cassée », il chasse le révolté comme d’autres poursuivent une proie dans la savane : avec une haine absolue, réserve inépuisable d’énergie.
Pour illustrer cette course poursuite vers la capitale, Cédric Babouche prête son talent d’illustrateur, rompu au cinéma d’animation, avec un réel talent. Celui-ci s’exprime particulièrement par la technique de l’aquarelle, jouant sur le contraste des gris et des rouges, saturant certaines planches de couleurs chaudes, donnant quelques pleines pages superbes. Son trait rend aussi bien la violence explosive des combats que la sérénité des sous-bois traversés par la compagnie de déserteurs. Il mêle avec brio l’art de l’atmosphère et la précision du dessin qui raconte autant qu’il ne montre.
Le Chant du Cygne n’est pas qu’une bande dessinée de plus sur la Grande Guerre. À ranger entre Notre-Mère la Guerre et l’œuvre de Jacques Tardi, elle apporte un éclairage sur ces actes dont les êtres humains n’ont été capables que dans le contexte d’une guerre particulièrement violente. Barbarie et héroïsme s’y côtoient sans pudeur. Mais lorsque les grades tombent, restent les hommes. Dans un enchaînement de trahisons, au cœur d’une stratégie absurde, l’individu se retrouve confronté à des choix cruciaux, pour lui-même ou pour les autres. Le héros n’est plus celui qui tombe pour la patrie, mais celui qui ose prendre à contre-courant un système qui fait fi des individus, même si, comme le dit le député Morin, « c’est la politique qui gouverne, pas l’héroïsme ».
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