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assionnant personnage que ce Merian C. Cooper (1893 – 1973) à qui Florent Silloray consacre une imposante biographie dessinée. Tour-à-tour militaire à la carrière contrariée (ce qui ne l’empêchera pas de prendre part activement aux deux Guerres mondiales), espion au sein de ce qui s’appellera plus tard la CIA, il est également un cinéaste novateur, un globe-trotter avide et un aviateur chevronné. En 1927, il aide à la création de la PANAM et, réengagé en 1941, il joint les légendaires Tigres volants de Claire Chennault. La paix revenue, il retourne à Hollywood et devient un producteur à succès redouté en raison d'un caractère bien trempé.
Pour aborder ce destin plus grand que nature, l’auteur du Carnet de Roger a malheureusement choisi une voie très sage et sans réel relief ou point de vue. Interrogé par une étudiante pour le compte de la revue de son université, Cooper retrace chronologiquement sa vie sous la forme d’un long monologue. Il en résulte un récit, certes, captivant et rempli d’anecdotes incroyables (la traque pour capturer Pancho Villa, le bombardement à la main des derniers Cosaques pendant la Révolution russe, les apparitions de Fred Astaire, Ginger Rogers et Katharine Hepburn, la réalisation de King Kong, la production des chefs-d’œuvre de John Huston, etc.), mais terriblement monocorde et sans recul critique. L’homme, un natif de l’Alabama, a les valeurs conservatrices, voire réactionnaires, bien ancrées en lui. Pourtant, son appui entier à la chasse aux sorcières durant le maccarthysme et son racisme latent sont à peine évoqués. Sans doute impressionnée, la jeune femme n’interrompt jamais ce flot d’aventures où la fin justifie tous les moyens. En se limitant aux seuls mots de Cooper, Silloray manque l’occasion de cerner totalement cette personnalité à la psychologie contrastée.
Toujours fidèle à ses cases bistres, le dessinateur se contente à d'illustrer le soliloque de son héros de circonstance. Le résultat est malgré tout agréable, la diversité des scènes entraîne le lecteur dans un voyage plein d’exotisme à travers la planète. Sur la longueur, l’ensemble ressemble néanmoins plus à un livre d’images qu’à une « vraie » BD. Davantage de dynamisme dans le trait et un découpage plus vivant n’auraient pas été de trop !
Monolithique et se reposant énormément sur une iconographie datée, Cooper un guerrier à Hollywood n’arrive pas à rendre la complexité et l’énergie de cet Américain pur jus pour qui rien n’était impossible.
Florent Silloray est un adepte des « biopic » : après avoir évoqué dans « Le carnet de Roger » la déportation en camp de travail de son grand-père et son périple sur les traces de son aïeul suite à la découverte de son carnet ; après s’être attaqué ensuite à la vie mouvementée et passionnante du photographe de guerre Capa dans « Capa l’ étoile filante », le voilà qui nous raconte aujourd’hui la destinée hors du commun de Merian C. Cooper tour à tour élève-officier, aviateur tombé en territoire ennemi et sauvé des geôles russes par une énigmatique espionne, documentariste dans des contrées exotiques, fondateur de la Paname, associé de David O Selznick, réalisateur de « King Kong », inventeur du Technicolor et pilier du Maccarthysme…
Or, pour raconter cette vie aventureuse, il reprend ses vieilles recettes et cela ne fonctionne plus : si le dessin est toujours aussi abouti, le récit est linéaire et très (trop) sage. Les seules cases en couleur sont celles qui font référence à la situation d’énonciation (l’interview par l’étudiante) reprenant un système déjà mis en place dans « Le carnet de Roger » … Là où le sépia prenait tout son sens pour raconter les tribulations du soldat Roger et rendre la réalité à la manière du photographe Capa, on reste sur notre faim pour l’inventeur du technicolor ! On aurait bien aimé également du dynamisme et du mouvement pour un héros qui a vécu toute sa vie à 100 à l’heure et qui inventa la couleur au cinéma !
Cette vie si palpitante et sujette à controverse est moins scénarisée qu’illustrée : l’album est constitué d’un long monologue de Cooper et il y a très peu de dialogues. On frôle l’hagiographie parfois (le côté raciste de ce sudiste n’est que très brièvement évoqué et son rôle important dans la chasse aux sorcières à Hollywood absolument minoré) et c’est tout autant monotone que monochrome …. On se prend à rêver de ce qu’aurait pu donner le récit de cette vie haute en couleurs et « bigger than life » avec une réelle mise en scène !