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abriel est un salaud. De ceux que la gouaille et la verve rendent à première vue sympathiques et intéressants et qui, au bout de quelques minutes, heures ou semaines, deviennent franchement antipathiques. Mais Gabriel est un beau salaud...
À la frontière entre fiction et (auto)biographie, Pierre-Henry Gomont propose de suivre la vie de Gabriel Lesaffre en commençant... par sa mort ! Après cette introduction, in ultima res, qui donne le ton de son personnage et de toute son histoire, un retour sur sa vie s'opère. De son enfance, pas vraiment heureuse, à ses années d'études, l'auteur brosse le portait d'un enfant bridé, élevé à la dure par un père violent qui montre plus son autorité que son affectation. En posant ainsi les bases de la psychologie de son (anti-)héros, le scénariste, sans chercher pour autant à excuser sa conduite, donne les premières clés pour comprendre ses actes. il retrace la vie de cet être clairement détestable de manière chronologique en narrant les étapes qui ont jonché son parcours. Le service militaire, la rencontre avec Claudia, sa future femme et mère de ses trois enfants (Mathilde, Simon et Martin), sa disparition puis son retour et son départ professionnel en Afrique.
Le récit est découpé en courts chapitres et use d'un style direct qui crée d'emblée une proximité, qu'il s'appuie sur la voix off et des textes hors cases au verbe soutenu autant que sur des échanges plein de finesse et d'humour. Au fur et à mesure, l'homme au physique de Gainsbourg années 60, apparaît égocentré, menteur, roublard, fêtard et matérialiste, mais pas foncièrement mauvais. Au gré de dialogues savoureux et bien écrits, l'auteur installe une complicité avec son lecteur via souvenirs et situations cocasses. Le trait lâché, très dynamique, accentue la dramaturgie d'un personnage central rocambolesque, avec la mise en avant de son caractère entier voire colérique par moments. Excessif en somme, et transgressant volontiers les convenances, comme pour mieux s'émanciper du carcan bourgeois et coincé dans lequel il a grandi, Gabriel est passionné et passionnant. Lorsqu'il s'investit totalement dans son entreprise, plus rien ne compte. Pourtant, il aime sa descendance, mais tant qu'elle lui est inaccessible. Une fois à ses côtés, il redevient distant et négligeant, comme pour les femmes ou les amis.
Le récit mute dans sa seconde partie, notamment dans son rythme. Le coureur invétéré et père occasionnel se transforme en dirigeant d'entreprise et avec des enfants à plein temps. Il en deviendrait presque touchant malgré ses cabotinages entre financiers peu scrupuleux et progéniture en manque d'attention, parfois (souvent) dépassé mais jamais abattu. Les séquences dans la jungle équatoriale dégagent une moiteur que les teintes chaudes renforcent. Les mômes livrés à eux-mêmes d'une part, les affres de la gestion d'une exploitation d'autre part, les séquences se répondent avec toujours le même soin de la mise en scène. Des planches généreuses, qui paraissent à première vue désorganisées, brouillonnes et au final se révèlent riches de détails et composées avec soin. À cet égard, l'artiste approfondit encore le style qu'il avait mis en œuvre en 2016 avec son adaptation de Perreira prétend, une balade touchante et humaine au Portugal, chez Sarbacane. Avec une exigence littéraire certaine, Pierre-Henry Gomont raconte ainsi une véritable fresque. Celle du destin d'un fêtard égocentrique détestable qui devient un homme, bourré de défauts mais attachant et marquant.
Malaterre confirme le réel talent de conteur au style ambitieux et flamboyant, à l'image de son héros en somme.
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Quelques fois, je me pose la question de savoir ce qui a tellement plu aux lecteurs dans une oeuvre pour récolter tant de bonnes notes. En effet, au premier abord, c'est plutôt assez classique dans l'approche.
En effet, il ne se passera pas des choses extraordinaires dans cette famille d'expatriés composée d'un couple divorcé et de trois enfants. Même le personnage principal Gabriel dans son rôle d'entrepreneur alcoolique n'est guère très sympathique. Il souhaite absolument orienter la vie de ses enfants au sujet d'un domaine forestier en plein coeur de la jungle africaine. J'avoue que je suis resté un peu perplexe.
Cependant, je suis arrivé à comprendre. Derrière ce personnage se cache un homme au coeur tendre qui a commis des erreurs mais qui a fait de son mieux pour laisser un héritage à ses enfants. J'ai été alors touché par cette sincérité des sentiments. Nous avons pour une fois une oeuvre assez complexe au niveau de la relation humaine. Un père n'est jamais parfait.
Du coup, vous voyez également ma note qui traduit un peu mon degré de satisfaction. Une oeuvre non manichéenne ce qui est tout à son avantage.
Gabriel a une obsession (mis à part l'alcool), le domaine de Malaterre. Ivrogne, il entraîne ses deux aînés loin de leur mère pour les "convertir" à sa passion. Pierre-Henry Gomont m'a littéralement embarqué dans son scénario. Je me suis sentie complètement transportée, tout au long de ma lecture.
Il faut dire que le scénario est merveilleusement bien construit, avec des personnages complexes et fascinants. Tout au long du récit, c'est un véritable ascenseur émotionnel qui m'a envahi. Tour à tour offusquée, émue, en colère, la palette des émotions que ce one-shot a éveillé en moi est large.
Outre le scénario, c'est le personnage de Gabriel qui m'a totalement fasciné. A la fois attirant et repoussant, il est au centre de ce roman graphique. Je n'ai eu de cesse de le comprendre. Son obsession pour ce domaine, n'aura de cesse de le hanter, une course éperdue durant laquelle il brûlera ses ailes.
L'esthétique est sublime. Les traits sont nerveux et chaque case foisonne de détails et de couleurs. L'atmosphère est chaude, l'ambiance moite. L'alcool est partout et semble troubler certaines vignettes. Un véritable petit bijou visuel.
Un brin plus réservé que les autres chroniqueurs de ce site. Malaterre est l'histoire d'un sale type, égocentrique, égoiste, inventif, capable parce qu'il ose tout sans limite d'imposer une grande partie de ses volontés au monde qui l'entoure. Amis, femmes, famille, enfants ne sont que des outils au service de sa propre personne. Les dialogues sont ciselés, et les personnages - même secondaires - sont bien travaillés . Par ailleurs, sans être fan du dessin, le talent est manifeste, et se traduit par une grande expressivité des personnages, et quelques innovation graphiques vraiment superbes.
Bref, c'est une belle BD, bien construite, bien racontée, dessinée avec personnalité et talent.
Alors d'où vient ma réserve qui justifie mes (seulement) trois étoiles ? Une petite question qui s'est imposée dans ma tête au fil de la lecture : mais pourquoi me raconte-t-il cela? que cherche-t-il à transmettre / démontrer / raconter? Et... je n'ai pas trouvé. J'ai refermé le tome sans vraiment savoir, donc un peu perturbé et déçu.
Néanmoins, c'est une opinion très personnelle, et Malaterre a tellement de qualités, indéniables, que j'en recommande clairement la lecture.
3/5, parce que je me suis un peu perdu dans l'histoire.
Véritable réussite que ce one-shot semi-autobiographique de Pierre-Henry Gomont. Beaucoup d'originalité sur le plan graphique, de fluidité dans la narration, de finesse dans le monologue de la voix-off. Et un vrai anti-héros charismatique en la personne de Gabriel. Bref, de la vraie, de la très bonne BD.
Je ne suis pas trop attiré par ce style de dessin. Mais je me suis lancé parce que grosse campagne de promo à la sortie, mise en avant, très bonnes critiques, etc.
Et franchement j'ai beaucoup aimé. Je suis rentré dans cette vie, celle d'un personnage inique, odieux, macho, irresponsable, impulsif, excessif, gouailleur. Mais aussi fragile, et finalement quand même un peu attachant. Le style de narration est agréable, enlevé, le ton tendre, avec un peu d'humour parfois un peu cynique, à l'image du bonhomme.
Très bon album, aucun regret !
A quarante ans, Pierre-Henry Gomont est devenu, en l’espace de de six albums publiés en moins d’une décennie, une figure incontournable du 9ème art, et ce dernier opus ne fait que confirmer ce statut. Si Pereira prétend, qui avait rencontré un certain succès, était une adaptation de roman, Malaterre relève plutôt de l’autobiographie. En effet, pour concevoir ce one-shot, l’auteur s’est inspiré de sa propre famille tout en resituant les événements et les lieux par rapport à la réalité, les personnages de l’album étant eux-mêmes « des agrégats de personnages réels », comme il le dit dans une interview.
Avec un scénario extrêmement bien charpenté, des personnages également très bien campés, P.-H. Gomont réussit à nous embarquer totalement dans cette « aventure » au parfum d’exotisme, en majeure partie grâce à ce personnage haut en couleurs qu’est Gabriel Lesaffre et qui constitue la force gravitationnelle du récit, omniprésent même dans les scènes où il est absent. Tout détestable soit-il, l’homme exerce une fascination puissante sur son entourage, sans que l’on puisse vraiment l’expliquer. En premier lieu, ses deux aînés, arrachés à leur mère suite à une action en justice du père pour obtenir leur garde, alors que ce dernier, aimant l’argent et la vie facile, a rarement été présent dans le passé. La mère restera seule à Paris avec le plus jeune enfant, les aînés Mathilde et Simon suivant leur père sans broncher vers cette destination exotique, l’Afrique équatoriale, dont ils ne connaissent rien. Une fois sur place, ils découvriront en pleine jungle le vaste domaine que Gabriel a racheté suite à la faillite des illustres aïeux dans les années 1920 : une imposante demeure coloniale, une serre monumentale ainsi qu’une scierie. Gabriel s’est mis en tête de restaurer et entretenir le patrimoine familial pour le léguer plus tard à ses enfants, dont il exige en retour qu’ils en soient les dignes héritiers. Dans les premiers temps, ceux-ci seront vite envoûtés par la beauté des lieux et l’environnement luxuriant. Une nouvelle liberté va s’offrir à eux dans cet endroit paradisiaque, contrastant fortement avec la grisaille parisienne. Très vite, ils seront contraints par leur père de suivre leurs études dans le lycée français d’une ville côtière. Plus ou moins livrés à eux-mêmes, ces adolescents s’endurciront au contact de leurs nouveaux amis, et feront malgré eux l’apprentissage de la vie, sans parents, préférant leur nouvelle vie à un retour à Paris, même s’ils finissent par honnir ce père caractériel. Absent comme à son habitude, Gabriel ne les verra plus qu’occasionnellement. En effet, obsédé par son projet, il dirige de façon chaotique le domaine, en jouant plus sur l’esbroufe qui lui a d’ailleurs permis de s’enrichir que grâce à ses compétences de gestionnaire, plus que limitées. Et d’avance, on pressent que tout cela est voué à l’échec…
Côté dessin, on est servis ! P.-H. Gomont maîtrise parfaitement son coup de crayon. Par les poses ou les expressions du visage, il sait faire ressortir les traits de caractère et les humeurs des protagonistes. À l’image du tumultueux Gabriel, le mouvement est permanent dans cette épopée virevoltante. De façon pertinente et audacieuse, l’auteur exploite pleinement les codes de la BD. C’est surtout la représentation du père qui frappe le lecteur. Les yeux exorbités de Gabriel et son visage émacié trahissent son désordre intérieur, renforcés par cette cigarette crachant des flammes plutôt que de la fumée, telle une extension organique de lui-même.
L’ambiance graphique est bien différente du placide Pereira prétend. Tour à tour lumineux et sombre, l’environnement exotique, très bien représenté dans son foisonnement, accompagne parfaitement cette histoire de passion humaine où les gouffres psychiques ne sont jamais loin. Inévitablement, on pense à l’œuvre de James Conrad, Au cœur des ténèbres, où là encore la jungle africaine semblait agir comme révélateur des pulsions enfouies de l’Homme blanc. Une jungle réfractaire et incompatible avec l’esprit de conquête, qui finit toujours par engloutir ceux qui cherchent à la dompter, telle une malédiction lancée par les dieux de la forêt. Et Gabriel n’y échappera pas davantage, malgré toute l’énergie qu’il aura déployée pour maintenir à flot son frêle esquif « mal sur terre », perdu dans l’immensité forestière.
Il faut ajouter à tout cela la plaisante tournure littéraire des textes, qui contribue à ériger Malaterre comme une référence parmi tout ce que le roman graphique a produit de meilleur. D’ailleurs, le talent narratif dont fait preuve Gomont n’est pas sans rappeler le maître dans sa catégorie, j’ai nommé Will Eisner… L’émotion n’est pas absente, en particulier vers la fin, et celle-ci est d’autant plus puissante qu’elle reste sobre, sans pathos. Car au final, le personnage de Gabriel révèle un côté attachant avec sa folie et ses paradoxes, une fragilité qu’il masque bien souvent derrière sa colère. Ses enfants, dans leur détestation commune, réalisent qu’au fond ils l’aimaient ce père que l’on voit mourir au début de ce récit en forme de flashback. Un père hors du commun qui suivait ses instincts envers et contre tout, en lutte contre tout le monde mais aussi contre lui-même.
Que l’on aimerait avoir à lire plus souvent de tels ouvrages ! Symbiose parfaite entre bande dessinée et littérature, cet album flamboyant place la barre très haut, ne négligeant aucun aspect tant dans le fond que dans la forme. Pour faire simple, P.-H. Gomont nous offre avec Malaterre un véritable chef d’œuvre à qui l’on peut souhaiter tout le succès qu’il mérite.
Un album écrit comme un roman qui ralliera les littéraires les plus exigeants par la qualité de sa narration. Il est entièrement construit autour d’un personnage exécrable, Gabriel, tour à tour hâbleur, excessif, impétueux, libertaire, impulsif, décadent, manipulateur, égocentrique... que Pierre-Henri Gomond en auteur inspiré portraiture magistralement.
Le dessin est à la parfaite mesure du personnage : il déborde de liberté, de trouvailles et d’énergie. Le visage tranchant de Gabriel et sa cigarette enflammée lui confère un charisme grandiose ! Les couleurs mates, chaudes et terreuses dépeignant l’Afrique créent des ambiances vibrionnantes et immersives.
L’histoire simple d’un ambitieux invétéré en manque de reconnaissance, d’un exilé personnifiant le mal d’amour – ne sachant en donner car n’en n’ayant pas reçu, ne vivant chaque étape de sa vie que comme un challenge qu’il lui faut gagner coûte que coûte...
En résumé, un homme intelligent se comportant comme un con, un homme sensible se conduisant comme un bourrin. Un homme que Pierre-Henri Gomond, par son talent et son écriture a le génie de nous faire aimer. Une histoire simple mais captivante, hantée par l’urgence. A lire absolument.
Excellente histoire.
Ça y est : Dargaud emboite le pas à Dupuis. On a droit à un tirage avec jaquette et hors-texte signé numéroté à 777 exemplaires...
Il faut dire que la jaquette présente une couverture qui me plait plus que la couverture de l'album.
Marketing, quand tu nous tiens...
Une histoire de famille qu’une justesse incroyaable
A lire et a relire
Mieux que pereira pretend!
Quel artiste
Gomont est un vrai auteur: dessin efficace qui va à l'essentiel, histoire bien menée, découpage magistral .. Quel bel ouvrage ! Et en plus des "petits trucs" qui pimentent l'affaire : par exemple, la flamme incandescente au lieu d'une simple fumée qui s'échappe de sa cigarette symbolise la soif de vivre et les excès du personnage principal!