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onas n'a de cesse de lorgner vers le haut de la ville, en direction de cette forteresse abritant l'élite de la société qui domine outrageusement les quartiers pauvres où il réside avec ses parents. Envieux, l'adolescent rêverait de pouvoir imiter sa sœur qui a réussi le prestigieux examen lui permettant d'intégrer le domaine très prisé des élus. Mais il va devoir composer entre son désir de quitter cette caste des laissés-pour-compte et la révolte qui gronde et menace ces hautes sphères. Un choix crucial s'impose.
Prenez une cité, placez-y une pincée d'aristocratie quasi dictatoriale ; ajoutez une grosse dose de petites gens asphyxiés par un régime mais qui, par l'intermédiaire d'un groupuscule, tentent de s'y opposer. Mélangez le tout et laissez mijoter pendant soixante-seize pages pour obtenir un ouvrage d'anticipation et de dystopie. Soit des ingrédients classiques et fiables et, de prime abord, rien de bien novateurs. Pour autant, et malgré le challenge fixé, Fabrice Colin (La brigade chimérique, Tir Nan Og) parvient à façonner une intrigue solide et prenante portée par des personnages sympathiques pour les uns, énigmatiques pour les autres, tous placés à des endroits stratégiques. L'auteur déniche l'attrait et l'originalité de son scénario dans l'incorporation de membres issus de la même famille. Il s'amuse à tester la solidité des liens affectifs en les séparant, puis en confrontant leurs réactions face à une situation particulièrement délicate. Sa mixture qui n'en n'est qu'à l'étape de préparation, aurait gagné en intérêt en s'attardant un peu plus sur une présentation du pouvoir en place.
Les premières pages s'ouvrent sur une évidence : celle de se retrouver, sons et mouvements en moins, devant l'équivalent d'un dessin animé. L'expérience professionnelle de Carole Maurel (Comme chez toi, L'apocalypse selon Magda) y est certainement pour beaucoup. Sur un découpage tout à fait ordinaire, son graphisme ne s'embarrasse guère de détails et de précision, mais assure néanmoins un bon équilibre et une bonne homogénéité entre les traits de ses personnages et les arrière-plans.
Malgré quelques petits défauts ici et là, Eden et son tome 1 le visage des sans-noms, présente suffisamment d'arguments pour convaincre d'aller plus loin.
J'ai bien aimé ce récit qui s'inscrit dans une société fortement inégalitaire qui pourrait ressembler à la nôtre. D'ailleurs, le sous-titre à savoir le visage des sans-noms renvoie aux fameux sans-dents d'un certain président se voulant très social. Pour autant, le récit ne dit rien de ce monde post-apocalyptique autour d'une cité. Les vêtements font par exemple référence au Moyen-Age mais il y a cependant un peu de technologie comme des lampadaires.
A noter qu'il n'y aura point de grandes batailles ou des combats mais plutôt une épreuve comme celle de l'entrée à une école prestigieuse où seuls les meilleurs pourront y parvenir. C'est le culte de la performance et de la réussite pour pénétrer dans les hautes sphères.
Il manque à ce récit une dimension de nous faire vraiment découvrir les inégalités en question car le petit peuple semble bien s'en sortir. On ne voit pas non plus les ultra-riches. Par ailleurs, quand l'insurrection éclate pour menacer le pouvoir en place, rien n'y prédisposait. Il manque certaines étapes pour construire un scénario plus cohérent et plus crédible.
Malgré ces petits défauts, ce titre présente un intérêt pour continuer à le suivre.