E
n novembre 1992, Edmond Baudoin et Tanguy Dohollau entreprennent une correspondance en bande dessinée. Le premier vit à Nice, le second à Saint-Brieuc. Ils discutent d’art et de littérature, du monde et de sa violence, des murs qui s’érigent entre les peuples, mais aussi de banalités. Les échanges durent un peu plus d’une année, cessent, puis reprennent en 2018, le temps d’une quinzaine de pages, lesquelles expliquent et justifient la réédition de cet album d’abord publié en 1995 par l’Apogée.
Le contraste entre les coauteurs est frappant. Le Breton, cérébral, se livre à des considérations sur le travail de Jack Kerouac et d’Herman Melville ; il fait allusion à d’obscurs cinéastes bosniaques et cite Théodor Adorno. Son dessin est à l’avenant, précis et complexe, généralement réalisé avec de petites hachures. Dans ses missives, le lecteur découvre des évocations du Cri d’Edgar Munch, des motifs géométriques rappelant ceux de Vassily Kandiski ou des éléments surréalistes. L’homme est libraire, il est habité par les livres et la culture, et ça se sent.
Son correspondant lui répond en quelques coups de pinceau. C’est d’ailleurs tout ce dont l’auteur du Portrait a besoin pour évoquer un paysage, capter l’esprit d’un lieu ou tracer les courbes d’une femme. « Rien au monde n’est plus beau qu’une femme », se plaît-il à répéter. Au fil des mois, il dessine sa fille, raconte son séjour à Vitrolles et sa rencontre avec l’abée Pierre. Tout lui semble facile, sauf la représentation du viol d’une amie, laquelle lui a servi de modèle. À cette occasion, il range son matériel, la composition restera blanche pendant un quart de siècle. Lorsque les deux artistes se retrouvent, le provençal a l’idée de refaire quelques-unes de ses planches, notamment celle représentant l’agression. Le résultat sera à la fois pudique et terrible.
Avec La diagonale des jours, le neuvième Art explore une avenue peu fréquentée. Les dialogues, fascinants et intelligents, sont rehaussés par de très belles illustrations.
Poster un avis sur cet album