C
'est le 1er mai 2012 que des étudiants, issus de milieux divers, décident de s'unir pour réclamer l'accès à l'eau potable dans tous les quartiers de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. De cette simple demande, élémentaire et légitime, un mouvement citoyen naîtra et prendra, moins de vingt-quatre mois plus tard, le nom de LUCHA (LUtte pour le CHAngement). Retour sur ces cinq années d'existence.
Justine Brabant, jeune journaliste indépendante, sort en 2016 le livre Qu'on nous laisse combattre et la guerre finira aux éditions la Découverte. Une véritable enquête de terrain dans une région, le Kivu, en proie à de terribles affrontements entre différentes milices armées, les Mayi-Mayi, dans un pays, la République Démocratique du Congo, lui-même toujours au centre de conflits.
La Lucha marque l'envie de la scénariste de dresser un état des lieux de la situation dans cette région en s'émancipant de l'image véhiculée par les grands média. Pour ce faire, Annick Kamgang (alias Kam), dessinatrice de presse (pour l'hebdomadaire Jeune Afrique, Le Monde ou encore L'Express) l'accompagne. Elle s'appuie sur des planches en noir et blanc et un trait simple, mais efficace, pour mettre en images ce récit, découpé en neuf courts chapitres.
De la genèse, sous l'impulsion de Rebecca Kabugho, Micheline Mwendiké, Judith Maroy, Luc Nkulula, Fred Bauma et Juvin Kombi, à sa lutte pour voir Joseph Kabila quitter le pouvoir, en passant par un rappel historique sur les habitants du Kivu, les autrices reviennent, de manière chronologique, sur les prémices et l'historique de l'organisation. D'abord locale, puis régionale et nationale voire internationale, elle se veut avant tout pacifiste, mais déterminée, pour obtenir l'accès à l'éducation, l'égalité des droits et lutter contre la corruption notamment des politiques. Refusant la récupération tout en nouant des alliances ponctuelles - au gré des dossiers - avec d'autres organisations pacifistes comme Filimbi (au Congo également), Y'en a marre (Sénégal) ou encore Le Balai Citoyen (Burkina Faso), ces femmes et ces hommes s'unissent pour faire front et faire entendre leurs voix. Devant les brimades, les difficultés et la répression du pouvoir en place, le lecteur ne peut qu'être admiratif de leur volonté et leur courage.
Édité en collaboration avec Amnesty International, qui a décerné au mouvement (conjointement à Y'en a marre, Le Balai Citoyen et la musicienne Angélique Kidjo qui signe la préface du livre) en 2016 le prix ambassadeur de conscience, La Lucha - Chronique d'une révolution sans armes au Congo est un titre fort. Plus reportage, pédagogique mais un peu sommaire, que bande dessinée classique, il a le mérite de brosser un portrait réaliste de la situation tout en mettant en lumière la volonté d'une jeunesse de prendre en main la destinée de son pays en faisant évoluer les consciences. Un travail de longue haleine et dangereux mais Ô combien nécessaire et honorable.
Le site de La Lucha.
Une journaliste et chercheuse indépendante s'associe avec une dessinatrice d'origine africaine, fille d'un politicien ayant subi la répression pour nous présenter un mouvement dont je n'avais jamais entendu parler. Il a l'originalité de mener une lutte pacifique à la manière d'un Gandhi, Marther Luther King ou encore Nelson Mandela. En même temps, il s'adapte par rapport à la situation locale du Congo.
A la préface, nous n'échapperons pas à la critique assez acerbe de l'album "Tintin au Congo" dont cette oeuvre se présente comme l'antithèse. Il faut dire que les belges n'ont pas forcément laissé un bon souvenir là-bas. Pour le reste, c'était plutôt mal parti mais la démonstration m'a littéralement convaincu. Certes, les moyens graphiques sont assez pauvres mais la bd fait passer son message avec le soutien d'Amnesty International.
Encore une fois, j'approuve toutes les initiatives pacifiques visant à faire tomber des gouvernements corrompus par le pouvoir et l'argent au détriment de la population qui fuit alors vers les pays occidentaux. Il faut dire que ce mouvement se bat pour l'accès à l'eau dans le robinet de la plupart des foyers de Goa alors que la ville se trouve à proximité d'un grand lac d'eau douce. Il y a également un combat pour la gratuité de l'enseignement qui ne semble être réservé qu'aux enfants de riches. on verra que l'Eglise catholique a une grande part de responsabilité en faisant encore payé une dîme.
Bref, la lecture vaut le coup pour tout ce que l'on apprend d'autant qu'il n'y a actuellement aucune couverture médiatique pour éveiller les consciences.
Le volume est issu d'un partenariat entre l'éditeur La boite à bulle et Amnesty International, avec l'optique de proposer à des auteurs de traiter un sujet sur lequel Amnesty fournira son expertise, sa documentation et sa caution. Les auteurs choisissent librement leur sujet. L'album propose une préface d'Anjélike Kidjo, une postface d'un des militants des droits humains africain et un texte d'Amnesty sur les défenseurs des droits humains.
La Lucha voit le jour à la suite des mouvements indignés et de la révolution tunisienne de 2011. Le mouvement impulsé par de jeunes étudiants de la classe moyenne congolaise dégoûtée par l'impasse de leur pays, la corruption, la pauvreté, s'inspire tant de la non violence que des mouvements citoyens aux préoccupations très concrètes. Le fait de ne pas à voir de hiérarchie coupe l'herbe sous le pied du système de corruption installé très solidement dans beaucoup de pays du tiers monde. Cette non organisation perturbe beaucoup une répression habituée au système de chefs, plus faciles à corrompre. Les militants, qui se voient persécutés, intimidés, emprisonnés, doivent combattre au moins autant les mentalités des populations que la répression politique qui est finalement souvent un colosse aux pieds d'argile dès lors que les mouvements sont médiatisés. Le mouvement commence par l'accès à l'eau puis part en lutte contre la mainmise de l'église catholique sur les écoles et la taxe qu'elle fait peser sur l'accès à l'école.
L'association essaye de gérer sa crise de croissance en gardant une neutralité absolue, notamment vis à vis des partis. Les soutiens qu'ils reçoivent des ONG vise à compenser les attaques judiciaires et intimidations pénales dont ils sont victimes. Finalement le clivage entre la classe politique composée d'hommes ayant la culture du chef et de l'obéissance, n'est guère différent de la situation démocratique en Europe (si ce n'est d’échelle) où toute une génération tente de changer le fonctionnement de vieilles démocraties bourgeoises.
C'est à mon sens la réflexion la plus forte et la plus grande vertu de cet album que de nous faire réaliser, nous occidentaux centrés sur des problématiques qui pourraient paraître futiles, que nous avons les mêmes combats: environnementaux, démocratiques,... La jeunesse du monde aspire à balayer les réminiscences de ce terrible XX° siècle qui aura fait tant de mal et dont les élites auto-reproduites s'accrochent violemment à leur domination. Mais les choses bougent et en Afrique peut-être plus qu'en Europe finalement l'on voit apparaître (au Libéria avec George Weah, au Sénégal avec Macky Sall, ...) de nouvelles figures issues de la société civiles et qui semblent décidées à combattre la corruption. Un très bel album qui donne de l'espoir.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/06/03/lucha