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ierre Christin se souvient et Philippe Aymond met en images son album-souvenirs.
La prise de poste à l'université dans l'Utah. Les découvertes dans ce pays larger than (european) life ; il en dresse un inventaire amusant, même s'il est le dindon de la farce, et que sa naïveté et son endettement sont mis à mal. Moins légers, la ségrégation raciale, usage ordinaire des sixties, et le prosélytisme - exercé par les mormons en l’occurrence - qui, 50 ans plus tard ne "passent" toujours pas. L'épisode américain est enthousiaste, coloré, donne le sourire.
Le chapitre suivant ramène de l'autre côté de l'océan, dans la France grise de l'après-guerre. Les années lycée notamment, puis la fac, le jazz, les "événements" d'Algérie et la guerre froide.
La transition coule de source : cap à l'Est, pour une incursion dans ces républiques et ces systèmes idéalisés par quelques franges de doctrinaires qui les fréquentent à distance, laissant les affres du quotidien à ceux qui ont les pieds dedans.
La chronologie des faits n'impose pas son diktat. Les vignettes d'Aymond sont impeccables, la lecture se fait au rythme que chacun s'impose, minutieuse et contemplative parfois, diagonale et élusive lorsque la répétition plane ou que la perspective de la porte ouverte enfoncée menace.
La politique et l'humanisme, soit, et les coulisses de la BD, direz-vous ? Même après Les correspondances publiées à la fin des années 90, on n'ouvre pas un livre de mémoires du père de Valérian, du scénariste de Partie de chasse et de Léna (entre autres) sans espérer une ration d'anecdotes. Mézières (forcément), Bilal, Goscinny et Charlier sont croisés ou évoqués (chacun aura bien retenu que Christin collaborait à Pilote sans connaître la revue). En la matière, la plus jolie fragrance héritée du passé est présentée sous forme d'une séquence (pas si nombreuses au final), celle de la première rencontre avec Gir. Quelle pleine page pour un hommage !
C’est la première fois que l’auteur Pierre Christin essaie le genre autobiographique. Il le dit lui-même en signant la préface. C’est tout à son honneur de vouloir se montrer plutôt humble.
Il ne faut pas oublier qu’il a côtoyé tous les grands noms de la BD franco-belge en passant par Moebius, Goscinny ou Enki Bilal. Il a lui-même écrit une première série de science-fiction ayant mis la première vraie héroïne en dehors d’un rôle de potiche. Cette série
« Valérian » a même inspiré un certain Georges Lucas qui a repris ses idées pour créer l’univers « Star Wars ». Il est dommage que Luc Besson n’est pas parvenu à réhabiliter cette série fondatrice.
On s’embarque dans un carnet de voyage où l’auteur nous fait découvrir l’Ouest américain avant de nous donner dans l’Est soviétique et ses pays satellites. Bref, il a été un des rares français à voyager des deux côtés du rideau de fer durant la période de la guerre froide.
Son ami de toujours est le célèbre Jean-Claude Mézières avec qui il a créé la série
« Valérian et Laureline ». C’est avec lui qu’il fera la plupart de ces voyages.
Je suis resté un peu dubitatif en voyant qu’il n’avait décidément pas de chances avec les voitures notamment américaines. C’est à croire que ce n’est pas de la bonne qualité. Ce n’est pas l’imager que j’avais de ces grosses berlines pouvant parcourir de nombreux kilomètres sur tous les terrains.
J’apprécie toujours autant le dessin de Philippe Aymond qui demeure précis et plutôt efficace.
Sur le fond, c’est la critique aussi bien de l’exubérance capitaliste des USA que de l’impérialisme soviétique qui a volé le pouvoir au peuple tout en l’affamant. Il va s’attarder surtout sur l’Amérique profonde à savoir mormone du côté de Salt Lake City. Le lieu n’est sans doute pas le plus représentatif de cette grande nation.
Du côté des pays de l’Est, il y aura la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne, la RDA et enfin la Russie.
Ce qu’il faut retenir, c’est que ces voyages ont forgé l’auteur et l’ont influencé plus tard lorsqu’il se mettra à faire des œuvres qui vont avoir du succès. Je pense notamment à
« Partie de chasse » et sa fameuse datcha pour ne citer qu’un exemple.
Il a essayé d’avoir un regard objectif sur la situation bien qu’on peut deviner qu’à travers le bilan avantage-inconvénient, il n’y a pas photo. D’ailleurs, la dernière image avec l’image de Poutine laisse entrevoir le destin peu glorieux de la Russie.
Au final, c’est un regard d’un auteur de BD qui se laisse bien lire et qui permet de le situer dans un monde marqué par l’affrontement de ces deux blocs. J’aime bien toutefois l’idée de ces cow-boys aussi bien hongrois qu’américain qui fait un parallélisme entre ces peuples pourtant différents mais qui n’aspirent qu’à la paix.
Souvenirs de voyage de Christin très bien mis en image par Aymond, plus l’évocation de ses débuts de scénariste, de sa rencontre de Mezieres et Gir.
Pas de révélation fracassante, plutôt le rendu de l’ambiance d’une époque révolue.
Du bon reportage graphique.
Un album intéressant quand on est un vieux lecteur de Pilote, Goscinny, Giraud, Tardi, Bilal, Goetzinger, etc. L'expérience de "caméra subjective", pour reprendre la terminologie de la préface, me semble assez réussie, le dessin d'Aymond est à la hauteur, évocation de l'époque comme précision du détail. Mais surtout cette découverte de l'Amérique et des Pays de l'Est années sixties et seventies me semble intéressante, complètement conforme à la réalité de l'époque, étonnante et malgré tout parfois surprenante. Même si la partie consacrée à la France me semble certes fidèle, mais moins originale.
Un beau regard sur le parcours et l'œuvre immense de Christin.