L
e 3 mai 1968, la tension monte d’un cran à la Sorbonne. Ce sera le point de départ d’une insurrection de moins en moins pacifique, laquelle durera un mois. Le président Charles de Gaulle est partisan de la ligne dure, mais personne n’écoute le vénérable, notamment son premier ministre Georges Pompidou qui souhaite adopter une attitude conciliante. La grogne prend cependant de l’ampleur. Après les universitaires et les lycéens, les ouvriers entrent dans la parade. Des barricades sont érigées dans les rues et les autorités sont débordées. La ville est paralysée et débutent les pénuries, particulièrement celle de carburant. Le général finira par dissoudre l’Assemblée nationale, prononcera une allocution rassembleuse, puis approvisionnera les postes d’essence afin que tous puissent profiter du congé de la Pentecôte. Et comme par magie, tout reviendra à la normale.
Patrick Rotman est d’une certaine façon le biographe officiel de mai 68. Après avoir publié des ouvrages et réalisé un film sur le sujet, il livre cette fois son propos sous la forme d’un roman graphique. Privilégiant une approche chronologique, il relate les épisodes les plus significatifs. L’historien expose l’argumentaire des étudiants, essentiellement porté par le témoignage d’un jeune homme studieux, probablement lui, dont la trajectoire épouse celle du soulèvement. A priori insensible aux revendications, il entend l’argumentaire, participe aux émeutes, constate que la récré est terminée, puis retourne sagement en classe.
En contrepoint, le projet fait large place aux tergiversations des politiques. L’auteur a d’ailleurs accompli une solide recherche et mené de nombreuses entrevues pour comprendre et expliquer les prises de position de l’appareil gouvernemental et celles des forces policières. Il donne ainsi accès aux officines du pouvoir pour mieux offrir à ses lecteurs un point de vue complémentaire et éclairant sur les perturbations.
Au final, l’entreprise apparaît remarquablement équilibrée. Il n’y a pas vraiment de gagnant ou de perdant ; en fait, il y a surtout une société qui change à la vitesse grand V et, de part et d’autre, des belligérants dépassés par les événements.
Les illustrations de Sébastien Vassant se mettent au service du discours. Discrètes et efficaces, elles vont à l’essentiel pour situer les lieux de l’action et représenter les principaux intervenants. Quelques figures disparues de l’actualité depuis longtemps sont parfois difficiles à reconnaître, même si elles ont été présentées lors de leur première apparition (peut-être aurait-il utile de proposer un lexique imagé). Dans l’ensemble, son travail de style « dessin de presse » joue bien son rôle d’acteur de soutien.
À quelques semaines du jubilé de la crise sociale qui a marqué la fin des années 1960, La veille du grand soir constitue un excellent exercice de vulgarisation.
Le lecteur doit être prévenu que le Général de Gaulle ne sera pas montré sous son meilleur jour avec toute l'aura qu'on lui connait. Néanmoins, cela traduit la réalité du moment avec un vieil homme de 77 ans après une vie politique déjà bien remplie en péripéties. On verra également ses divergences de vue avec un Pompidou qui se révèle être un plus fin stratège.
Bien entendu, la part belle sera faite à Dany le rouge ainsi que de toute une clique de révolutionnaires voulant changer le monde. Encore que, on comprendra que le but n'était pas forcément d'avoir le pouvoir mais améliorer les conditions de vie des français ainsi qu'un changement de mentalités vers plus de libertés (Professeurs, vous êtes vieux, votre culture aussi !). Tout cela se terminera par la victoire écrasante des gaullistes aux élections de Juin 1968 qu'on a baptisé les élections de la peur. En fait, le Général va encore rester accroché un an au pouvoir avant de tirer sa révérence.
On voit également que ce mouvement était très divisé et qu'il est mort faute d'avoir pu donner une impulsion politique. Ni Pierre Mendès-France, ni François Mitterrand et encore moins les communistes en ont profité. Ce n'est pas le fruit de ma réflexion personnelle mais le message véhiculé par les auteurs qui se sont solidement documentés.
Attention que cette BD ne donne pas de mauvaises idées car nous savons tous comment se termine les révolutions. Le grand soir n'aura pas lieu. Cependant, ce mois de Mai où la jeunesse a été sévèrement châtiée marquera à tout jamais les esprits. Une œuvre riche en enseignements.