E
n ces années 30, l'Amérique vacille. Profondément tourmentée, elle traverse une crise économique sans précédent. Dusty, une fillette de dix ans, est bouleversée par l'absence prolongée de son père parti plaider, comme beaucoup d'autres, la cause ouvrière à Washington. Sa situation familiale devenue précaire, cette petite gamine téméraire, un tantinet malicieuse, et surtout marquée par ce manque paternel, décide brusquement de s'aventurer seule à sa recherche. Son voyage sera ponctué de rencontres en tous genres et parsemé d'embûches. «Bon alors, Washington ? À droite où à gauche ?»
Happé par un scénario immédiatement séduisant, le lecteur plonge la tête la première dans le tumulte de cette Amérique qui se cherche et tente de gérer au mieux une crise qui divise les couches sociales. Aurélien Ducoudray (A coucher dehors, Les chiens de Pripyat) a su trouver le bon équilibre dans une confrontation astucieuse entre personnages imaginaires et réels d'une période charnière sous l'ère Roosevelt. Ainsi, l'héroïne aux allures de Punkie Brewster croisera tour à tour dans son périple Tom Joad le héros des Raisins de la colère, les criminels Bonnie and Clyde ou encore les artistes du cirque du film Freaks. Cette alchimie parfaitement orchestrée et servie sur un rythme soutenu confirme la devise de l'auteur : «on vient souvent à la grande Histoire par le biais de la petite».
Pour mettre en scène ses nombreux protagonistes, il fallait une illustration de circonstance avec des cases et un découpage qui rendent crédibles la trame et l'ambiance de l'époque. Aux crayons, Gilles Aris (Le vieux Ferrand) compose un visuel final à la hauteur des attentes : la frimousse expressive de «sa Dusty», le charisme de «Bertha wagon à bestiaux», pour ne citer qu'elles, ajoutés aux décors et aux costumes de l'époque, font de ce premier opus, une vraie réussite. L'ensemble rappellera pour certains les aventures de Tom Sawyer ou celles de son comparse Huckleberry Finn.
La dernière page de La ballade de Dusty se referme sur le sentiment d'avoir passé un moment exaltant en sa compagnie. D'avoir pu, grâce à son insouciance, et son audace, s'enfoncer dans ce pays fascinant pour s'imprégner de sa culture et de son climat social particulièrement tendu. Nul doute que le plaisir sera prolongé dans le second tome de ce diptyque.
Lors de la grande dépression de 1929, la très jeune Dusty décide de se rendre à Washington par ses propres moyens afin de retrouver son syndicaliste de père. Celui-ci est parti avec plusieurs compagnons afin de rendre compte au Président des États-Unis des difficultés auxquelles sont confrontés ses concitoyens.
Pendant son voyage elle fera la rencontre de personnages célèbres de l’époque (réels ou de romans) comme Tom Joad le héros de Steinbeck dans « Les raisins de la colère » magnifiquement interprété par Henry Fonda dans le film de John Ford, ou encore la photographe Dorothea Lange qui a rendu compte du traumatisme et de la pauvreté des Américains de l’époque ou encore de Bonnie and Clyde.
Pour en revenir à sa rencontre avec Dorothea Lange, Gilles Aris (le dessinateur) a superbement rendu la célèbre photo de cette migrante qui donne le sein à son enfant sous une toile de tente. On ressent tout le désespoir de cette femme avec son regard perdu dans le néant qu’est devenue sa vie.
Mais il y a bien d’autres rencontres avec les hobos (sans domiciles fixes) qui hantaient les chemins, les champs de cueillettes, et les wagons à bestiaux. Pour se reconnaitre, chacun marque d’un bout de craie, de pierre ou encore de charbon sa trace comme un langage destiné aux autres hobos pour les avertir d’un quelconque danger ou d’un espoir de repas.
Dans « La ballade de Dusty » on élit le roi des hobos qui n’est autre que le meilleur conteur. Je ne sais pas si cela a vraiment existé, mais il s’agit d’un très bon passage de l’album.
Les sourires et la tristesse se partagent les pages de cette histoire où la violence croise les besoins d’humanité et d’entraide. Ce n’est bien évidemment pas aussi fort que « Les raisins de la colère », mais cet album, il me semble, rend bien la vie des pauvres gens de l’époque.