L
e thème de la soirée en ce mois de juin 1929 : le bal des Matières. Les époux Noailles font toujours les choses de manière originale ; c'est certainement pour cette raison que Jean Cocteau, Louis Bunuel et Pablo Picasso s'y retrouvent. Dans cet espace progressiste, les gens disent ce qu'ils pensent, s'insurgent, se titillent et s'insultent même, sans choquer outre mesure car la démesure est à la mode. Enfin, pas pour tout le monde. Chaque parole du trio est attentivement analysées par un homme masqué, pas par amusement, mais pour cacher sa «gueule cassée». Il les exècre, ces juifs, ces invertis et autres déchets de l'humanité selon lui. La mission que lui a confié le préfet de police lui sied donc parfaitement : infiltrer le milieu des décadents afin de prévenir tout désordre que pourrait susciter une nouvelle oeuvre, du même acabit que ce «Chien andalou», film subversif et dérangeant, par des dérangés, forcément...
Il faut reconnaître que les débuts de l'histoire sont plutôt difficiles à appréhender pour celui qui n'est pas familier du milieu et des personnages. Le phrasé part souvent des envolées littéraires sur lesquelles il convient de s'attarder, pour les appréhender à leur juste valeur. Néanmoins, Lancelot Hamelin parvient, grâce à l'intrigue policière en fil rouge, à susciter l'intérêt et au cours de la lecture, amener à mieux connaître cette avant-garde surréaliste qui ne peut laisser indifférent. Scandales, outrages, provocation, ces artistes à la forte personnalité osent tout mais cela dérange et inquiète les hautes sphères. À la fois détestables et admirables dans leur attitude irrespectueuse et libertaire, le lecteur se surprend à les apprécier. Le scénariste aborde également le nerf de la guerre : faut-il trahir ses valeurs (amour, amitié) et se laisser corrompre, avilir par l'argent pour pouvoir faire vivre et vivre de son art ?
Luca Erbetta propose un traitement tout à fait approprié à l'époque des années folles : un fond de planches beige et des tons de jaunes dominants, associés à quelques autres couleurs veloutées. Son style réaliste caractérise les figures célèbres avec talent et une belle régularité. Certaines cases voient leurs décors allégés ou esquissés, permettant de mettre l'accent sur le jeu des acteurs et leurs émotions exacerbées.
Du fait d'un langage et d'un microcosme particuliers, l'immersion Dans les eaux glacées du calcul égoïste n'est pas instantanée. Mais pour qui accepte d'avancer en douceur et d'être un peu noyé pour un temps, le jeu en vaut la chandelle car la dimension de thriller laisse entrer les béotiens et qui sait, pourrait les convertir ? (prévu en deux tomes)
A vrai dire, je me suis littéralement ennuyé à cette lecture mêlant des artistes pourtant très célèbres durant l'entre-deux-guerre. Jugez-en par vous même: il y a tout de même Cocteau, Dali ou Buenel durant leur jeunesse.
Surréalisme et subversion seront au rendez-vous. Mais comme dit, je n'apprécie pas trop ce monde d'égocentrisme et d'abstrait dans un pseudo-intellectualisme de base sous un voile de décadence.
Pour autant, je dois bien avouer que le graphisme et le dessin est plutôt assez réussi. Mais cela ne fait malheureusement pas tout. C'est un écrin assez soigné. La société des années folles est bien décrite. Certains lecteurs peuvent néanmoins y trouver leur compte.