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epuis toujours les fables ont servi de vaisseaux aux détracteurs et aux critiques du pouvoir en place. Quand les attaques frontales se révèlent être dangereuses, rien ne vaut l’esquive et la métaphore pour souligner les écarts des puissants. Contraint par les circonstances politiques et culturelles de son pays, Ersin Karabulut est donc obligé de jouer avec les nuances afin de raconter sa Turquie, la dénoncer, mais aussi, plus largement, la société moderne.
En quinze contes cruels dont Auguste de Villiers de L'Isle-Adam ne renierait pas l’esprit, le scénariste présente un monde ayant perdu tous ses repères sociaux et moraux. Des enfants sont prêts à massacrer leurs parents pour gagner quelques années de vie, un homme d’affaires préfère sa carrière plutôt que de secourir un garçon gisant sur le pavé et un musicien à l’étoile fanée est prêt à donner littéralement de sa personne pour satisfaire son dernier fan. Des fins heureuses ? Surtout pas, ça serait trop simple. Non, dans cette cité anonyme (même si un large cours d’eau fait immanquablement penser au Bosphore et à Istanbul) rien ne va plus et, comme la couverture le suggère, seul le vide semble être la voie à suivre.
Pessimiste voire dépressif, monsieur Karabulut ? Oui, le diagnostic ne souffre d’aucune discussion. Dans le même temps, son style graphique ultra-expressif mêlant la fragilité des Paracuellos, l'horreur gothique des Contes de la Crypte et les délires parodiques de Mad Magazine apporte un décalage quasiment clownesque à la narration. Tel un miroir déformant, les images renvoyées par les illustrations renforcent l’atmosphère grotesque et étrangement familière des récits. Piégé par le stratagème, le lecteur est forcé d’accepter sa part de responsabilité dans ce chaos existentiel.
Pour autant, l’album n’est pas dénué d’un certain humour, noir de charbon ça va de soi. À force de proposer des situations toujours plus extrêmes, l’auteur réussit à faire planer un peu de doute, pas sur ses intentions évidemment, mais sur la manière dont il tente d’alerter ses contemporains. Il ne montre pas la réalité, seulement une vision de ce qu’elle pourrait devenir si personne ne se réveille rapidement. Ces mini-cauchemars seront-ils suffisants pour ébranler les consciences ? À vous de voir et d’en décider.
Recueil coup de poing, Contes ordinaires d’une société résignée ne changera pas la donne, mais il recèle suffisamment de qualité pour séduire les amateurs de libelles bien tournés.
J'attendais beaucoup de ce conte au vu des critiques assez élogieuses dans la presse. Je suis fort déçu car je n'ai pas ressenti quelque chose de fort. Certes, c'est assez bien dessiné et colorisé dans un format de qualité.
Cependant, ces petites histoires assez cyniques ne me parlent pas. Elles sont trop bizarres et loufoques. J'en perçois à peine le sens pour certaines d'entre-elles. Il est vrai que l'humour noir n'est pas ce que je préfère.
Pour autant, je conçois tout à fait que cela pourra plaire à un public plus avisé et sensible à ce genre.
J’avoue, j’ai mis un petit temps à m’y faire.
Les dessins ne sont pas classiques, je n’appréciais pas durant les premières pages mais je me suis adapté et j’ai commencé à prendre plaisir à les regarder et chercher les nombreux détails qui peuplent les cases pour, finalement, trouver ça très agréable.
Les histoires, quant à elles, commencent souvent sur une excellente idée, décalée, pertinente, mais dont la chute m’échappe. Je ne vois pas le message, je ne le comprends pas…
Bon, il y en a plusieurs qui sont très claires et c’est toujours plaisamment noir – pas pu m’empêcher de penser plusieurs fois à Foerster…
En tout cas, un ouvrage marquant.