I
talie, 1898, Leda Rafanelli est typographe. Comme son employeur, elle a des convictions de gauche. Au contact de textes anarchistes, son point de vue se radicalise, ce qui ne l’empêche pas de sympathiser avec Benito Mussolini (avant qu’il ne devienne tyran). Athée, elle se convertit à la foi musulmane… et finira diseuse de bonne aventure. Elle sera également écrivaine, peintre, éditrice, épouse fidèle et amante. Bref, elle est un esprit libre.
Le scénario, cosigné par Luca De Santis et Francesco Satta s’attarde sur les moments-clés de l’engament de la femme, alors qu’elle côtoie l’élite politique, intellectuelle et artistique de son époque. Un succès enviable pour une autodidacte. Le cœur du récit se déroule entre la fin du XIXe siècle et le début des années 1920 et passe presque sous silence la seconde moitié de la vie de l'héroïne, laquelle décède en 1971. Elle apparaît néanmoins ponctuellement, tout au long de l’album, vieillarde, tirant les cartes à une cliente dont les préoccupations amoureuses font écho à certains épisodes de sa vie.
Le dessin à l’encre de Sara Colaone s'avère magnifique. En quelques traits larges et assurés, elle établit un personnage, construit un édifice, déclenche une tension, partage une émotion et, bien souvent, déstabilise son lecteur. Ses influences se trouvent un peu du côté des coups de pinceau d’Edmond Baudoin et des illustrations décoratives de Philippe Dupuy et de Charles Berbérian. Les nombreux aplats gris évoquent quant à eux le travail de Jean-Claude Götting. Ces indications sont cependant trop générales, car il y a de tout dans ce roman graphique. Par exemple, l’artiste adoptera un style futuriste pour dépeindre un représentant de ce courant ou dessine un port semblable à ceux du fauve André Derain (la couleur en moins). Son audace s'affirme encore davantage dans le découpage ; les phylactères s’enfuient de leur cadre et prennent leurs aises chez le voisin, des vignettes apposées sur un lavis créent un ensemble qui se donne des airs de collage, plus loin la position des cases suggère le trot d’un cheval et c'est comme ça tout du long.
Pour tout dire, dans Leda Rafanelli, la gitane anarchiste, la forme rejoint le fond. La protagoniste se révèle une touche-à-tout qui se redéfinit sans arrêt ? Alors soit, il en ira de même pour cette bande dessinée qui se réinventera à toutes les planches. Et c’est jubilatoire.
Petit souci de confection : le papier est mince ; quand les pages sont très encrées, on les lit pratiquement deux à la fois.
Je ne connaissais pas Leda Rafanelli qui était une féministe, anarchiste, musulmane, individualiste, femme de lettres, chiromancienne et partisane de l'amour libre. Oui, tout cela à la fois et sans aucun complexe. Elle a vécu intensément jusqu'à ses 91 ans.
A vrai dire, je n'aime pas beaucoup l'anarchisme qui prône des valeurs contre la famille, l'école, l'église et contre toutes les institutions de l'Etat. On assistera également à une bonne partie de l'histoire de l'Italie comme par exemple au travers l'assassinat du roi d'Italie Umberto 1er en 1900 ou encore à l'entrée dans la Première Guerre Mondiale.
Elle a eu également le malheur d'avoir une aventure amoureuse avec un certain Benito Mussolini qui était en 1912 le chef de file des socialistes révolutionnaires italiens avant qu'il ne change de camp et devienne le fameux dictateur d'un régime fasciste. Comme quoi, ce sont les pires.
Bref, c'est un portrait de femme mais dont le traitement est parfois assez ésotérique. Il n'y a pas véritablement de fil conducteur et j'avoue m'être parfois perdu comme dans des limbes. Cependant, je retiens surtout le côté avant-gardiste de cette prodigieuse bonne femme marquée par ses idéaux politiques.